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Uncle Bad Touch, Code Pie, Shlohmo: la force de la tradition

L’ennui, avec la nouveauté, c’est qu’elle vieillit vite. Parfois, elle s’étiole. Je ne demandais qu’à rendre compte des développements du côté de la scène glitch-hop, mais après une seconde apparition décevante de Mount Kimbie, il y a deux semaines, celles de Shlohmo et de Tokimonsta, mardi au Belmont, n’ont guère été plus enlevantes. Shlohmo a commencé sur les chapeaux de roue, mais est rapidement tombé dans un downtempo sci-fi faiblard qui est en passe de devenir le cul-de-sac du genre. Tokimonsta a livré un set à l’image de ses albums: coloré, ponctué de bonnes idées, mais sans ligne directrice.

J’aime croire en la longévité des choses, mais on dirait bien que ce mouvement brièvement passionnant est en train de s’essouffler, si ce n’est déjà fait. Les disques sont de moins en moins intéressants et les sets live étonnent peu. Limites du genre ou caprices des artisans? J’aurais tendance à pencher pour le second choix. En cherchant à fuir la redite, le musicien fuit aussi souvent ses forces. J’ai préféré partir plutôt que d’assister plus longtemps à cette débandade.

Il y avait Cut Copy au Club Soda, mais la perspective d’un gros show sold out m’enchantait autant qu’un rendez-vous au CLSC. Direction l’Esco, pour Uncle Bad Touch. Je me suis dit qu’un peu d’énergie brute ne me ferait pas de tort.

Comme de fait: j’arrive comme le show débute et quelques minutes plus tard, je suis devant la scène en train de semi-headbanger au son de «Running and Rolling Your Way», l’un des nombreux riffs magiques dont dispose le trio (mené par Mickey Heppner, de Priestess, et sa copine bassiste, Kathryn McCaughey). Le band est dedans et le public aussi. Les quarante minutes du concert passent comme un coup de vent au son des «Sober Bender», «Strange City, Sing to Me», «Baby, Baby, Baby, Baby» et autres extraits de l’album éponyme paru fin 2010, ainsi que des deux nouvelles chansons au menu.

Outre ses chansons habiles, il y a trois bonnes raisons de voir en Uncle Bad Touch l’un des meilleurs groupes rock locaux du moment. De un, avec ce nouveau véhicule, Heppner ramène un peu de l’esprit stoner qui faisait le charme du Priestess des débuts. Les riffs sont simples, chantants. Rien à voir avec le Priestess prog-métal qui a pris le dessus depuis. De deux, son absence totale de prétention fait du bien. De Tricky Woo à Starvin’ Hungry, le rock local a souvent été un concours de qui est le plus tough, le plus authentique, et Uncle Bad Touch se soustrait heureusement à cette course. Heppner a beau être un guitariste hors pair, le groupe en tant que tel a un jeu approximatif, voire maladroit, mais ça n’a aucune importance, Et de trois, le trio défend mine de rien un croisement inhabituel de stoner, de garage, de psychédélique, de punk et de soul nourrissant, qui donne l’impression d’avoir vu des groupes de chacun de ces genres en une seule prestation. Pas pire moyenne.

C’est de la tarte 
Même impression de bouffée d’air frais deux soirs auparavant, à la Casa del popolo, où les trop rares Code Pie ressurgissaient pour souligner le lancement de leur excellent nouvel album, Love Meets Rage. Là encore, on mentirait à prétendre que le groupe est spécialement bon d’un point de vue technique ou qu’il a son qui sort de l’ordinaire. Il a beau rouler depuis près de dix ans, il conserve un jeu plutôt gauche et son alliage de folk, d’indie-pop orchestral et de rock n’a strictement rien de nouveau.

Tout est dans les chansons, dans la couleur et dans l’attitude (ou plutôt l’absence de). Le nouveau matériel du quintette (la trompettiste Eva Boodman vit désormais en Europe) est vraiment son plus engageant jusqu’à maintenant, mais surtout, ça fait du bien de recevoir le tout sans les clichés indie-rock d’usage. Pas de «hi, we’re Code Pie» faussement modeste ni de maniérisme d’artiste farouche. La section rythmique, qui ne vient clairement pas de l’indie-rock, ne se gêne pas pour rajouter des fioritures qui passeraient pour hérésie chez bien d’autres groupes, et surtout, le chanteur Enzo Palermo assume pleinement sa place au-devant de la scène, regardant le public droit dans les yeux et bougeant frénétiquement, sans donner l’impression d’en mettre trop. À mi-chemin, c’est sans ironie (mais avec une petite twist années 50 de rigueur) que le groupe pousse sa reprise de «Baby» de Justin Bieber.

À ce stade, l’approche simple, directe et sans flafla de Code Pie est cent fois plus rafraîchissante qu’un énième mélange de nappes psychédéliques et d’envolées percussives à la Animal Collective comme on en entend des nouvelles variantes chaque semaine.

Voilà évidemment qui nous emmène loin du glitch-hop et de la nouveauté. Mais quand cette dernière déçoit, il n’y a rien, justement, comme ces petites doses de tradition bien assumée.