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Après s’être penché sur Arcade Fire, Vincent Morisset révèle l’intensité de Sigur Rós avec «INNI»

Les films-concerts sont un genre bien particulier, régis par toute une gamme de règles et d’attentes de la part de fans qui se les procurent. Évidemment, les réalisateurs ont habituellement le souci de transposer l’expérience scénique sur pellicule en faisant honneur aux musiciens. Mais les meilleurs productions vont au-delà d’une simple captation multi-caméra du band de l'heure X.

INNI fait partie de cette dernière catégorie. Le réalisateur montréalais Vincent Morisset, dont on se souvient pour avoir réalisé Miroir Noir, le portrait impressionniste d'Arcade Fire au moment de l’enregistrement et de la tournée de Neon Bible, a eu le mandat de filmer ce qui serait peut-être l’une des dernières prestations du groupe islandais Sigur Rós à l’Alexandra de Londres, avant que les musiciens prennent une pause indéfinie à la fin de 2008. 

Le résultat? Un film intimiste et d’une grande intensité, qui entrecoupe des images de ce concert puissant avec des archives tirées des dix premières années du groupe. Le défi était d’autant plus important, puisque Heima, un excellent documentaire sur le groupe qui nous avait fait découvrir leurs racines d’un point de vue géographique mais aussi historique, avait déjà vu le jour en 2007.

Morisset a fait appel à tout un éventail de talentueux créateurs montréalais pour mettre en œuvre son ambitieux projet, qui nécessitait plusieurs procédés de manipulation d'images captées lors du concert, dans une optique d’abstraction de certaines prises, et d’emphase sur certains détails révélateurs. Armé des directeurs photo Christophe Collette et John Londono, de l’équipe de Post-Moderne, des animateurs Olivier Groulx et Raoul Paulet, des effets visuels de Karl Lemieux, du montage de Stéphane Lafleur (en collaboration avec Nick Fenton), on peut dire que Morisset a puisé à fond dans le Montréal créatif pour donner vie à son film explosif, d’une grande résonance autant pour fans finis que pour non-initiés à la musique de Sigur Rós. NIGHTLIFE.CA s’est entretenu avec le chef d’orchestre du projet à son retour de la très prestigieuse Mostra de Venise, où le film a été présenté en première mondiale. 

 


Image tirée d'INNI de Vincent Morisset
 

Quel a été l’élément déclencheur pour que tu embarques dans ce projet avec Sigur Rós?
Quand on m’a proposé de faire ce projet-là, ils m’ont appelé et ils m’ont dit : « la tournée s’achève bientôt, on ne sait pas ce qu’il va arriver avec le groupe par la suite. Un des membres sera papa, Jónsi part son projet solo, l’avenir du band est incertain, donc ce sera peut-être la dernière fois que le band jouera ensemble. » Il y avait un désir d’archiver ça, toute l’essence du band, qui a vraiment été influent ces quinze dernières années. J’avais ce désir-là de transmettre l’expérience live sur film. Dès le départ, il y avait la volonté de faire un film axé sur la musique.

Heima avait bien transmis les racines culturelles du groupe; le film nous avait fait découvrir l’Islande, d’où ils viennent, leur démarche artistique et tout. Du coup, on voulait d’une certaine façon ne pas répéter la même chose; on voulait faire découvrir une facette différente du groupe, quelque chose de plus brut, de plus intense. Parce que lorsque tu vois Sigur Rós live, tu réalises que ce n’est pas seulement de la musique délicate et pleine d’émotions, c’est aussi très intense et brut.

 

Ton film est à mille lieues d’un film-concert à la facture classique, avec ton montage impressionniste, l’absence totale de spectateurs réunis au Alexandra Palace et même de gros plans du band sur scène. Qu’est-ce qui t’as porté à choisir cette approche aussi singulière?
D’un certain coté, je voulais faire quelque chose de sobre – qu’on se concentre sur les musiciens, un peu comme, lorsqu’on est à un spectacle, notre regard se déplace. À un moment donné, on fixe le batteur pendant 25 secondes, et là on part, on va ailleurs. Je voulais pouvoir les voir jouer, apprécier leur effort, leur virtuosité, les détails… Choses qu’on ne fait pas nécessairement lorsqu’on est dans le pit ou à 200 mètres derrière. Je voulais que le film ait quelque chose d’intemporel, presque d’onirique, qui se rapporte au rêve… un film un peu « warp zone ». Quelque chose qui vient rejoindre leur musique. Je me suis dit que je ne voudrais pas passer des semaines et des mois devant un ordinateur à essayer de produire des effets vidéo en postprod, et je me suis rappelé de la bande sonore de Neil Young [NDLR : Neil Young a composé la trame sonore pour le film Dead Man de Jim Jarmusch, en 1995], qui avait un rapport intuitif avec le film. Il regardait le film pour une première fois; il jouait et réagissait à ce qu’il voyait. Il y avait quelque chose que je trouvais de très beau là-dedans : de l’instinct, de l’accident heureux. Quand ça se synchronise, il y a quelque chose de magique dans l’imparfait. Je me suis dit que j’allais transposer cette approche-là, qui est très organique.

 

 

Y a-t-il quelque chose que tu as appris en réalisant le docu sur Arcade Fire et que tu as pu appliquer cette fois-ci, même s’il s’agit à la base de deux projets bien différents?
Ouais, c’est quand même très différent. Le projet Miroir Noir était vraiment nouveau pour moi, on a suivi le band pendant plusieurs semaines partout, c’est vraiment un travail où tu glanes des images petit à petit, où t’attends que des choses se passent. On a fait le pari cette fois-ci d’une approche complètement différente, de mettre toute l’énergie sur deux soirs et de tirer l’essence de cela.

 

Qu’est-ce que tu retiens de ton expérience à Venise?
C’était génial. C’était la première fois que j’allais dans cette ville-là, qui est presque surréaliste; tu penserais que c’est un décor de film. Le festival est incroyable, il y a plein de cinéastes qu’on respecte qui présentent leur film. Et il y avait beaucoup de réalisateurs canadiens cette année – Jean-Marc Vallée, Guy Édoin et David Cronenberg – c’était une grosse délégation. Et Jean-Marc est d’ailleurs un grand fan de Sigur Rós; il y a plusieurs chansons du groupe qui se retrouvent dans Café de Flore. Le film a été super bien reçu, les gens applaudissaient comme dans un concert, entre les chansons, et il y avait un Q&A par la suite avec les membres du groupe.

 

Quelle a été la réaction des membres de Sigur Rós après avoir visionné le film?
Ils sont super ravis du résultat. Ce sont des gens de peu de mots, mais quand ils sont contents, ils le font sentir. Pour eux, je pense que c’est toujours un peu étrange de se voir jouer. Je ne pense pas que c’est un exercice qu’ils adorent – je ne crois pas qu’ils vont écouter le DVD chez eux, 'oh wow, comme j’suis bon!' Mais je pense qu’ils sont contents que cet artéfact existe, et ils en sont fiers. Mais la vie continue, il y a plein de beaux, nouveaux projets qui vont venir de ces gars-là.

 

INNI
En première nord-américaine ce soir, en présence du réalisateur
Le National | 1220, Ste-Catherine E. | phi-montreal.com/sigurros

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