Jeudi, j’ai le choix.
Deux magazines lancent un nouveau numéro.
Urbania y va de ce qui ressemble à une édition spéciale thématique dite «étudiants». Un choix stratégique pour la rentrée alors que le Plateau regorge d’appartements bondés d’étudiantes de l’UQAM qui profitent d’un loyer payé par leurs parents.
Du coup, même si je respecte beaucoup la pertinence historique de la publication (que j’ai pourtant de la difficulté à lire avec attention depuis ses débuts), je n’ai pas le goût de passer ma soirée entouré de stagiaires français.
J’ai un goût d’intelligence.
J’opte donc pour le lancement du quatrième numéro de Nouveau Projet qui se déroule au Centre Phi (sans contredit la salle la plus intéressante de Montréal à tous les points de vue). Même si je possède deux des trois autres numéros de la publication, je ne me souviens pas d’avoir lu un article au complet. Au fait, je ne crois pas connaître quelqu’un qui ait déjà lu un article complet de Nouveau Projet. Peut-être @lkblais. Mais certainement pas @DJUBS qui m’accompagne.
Il n’y existe pas meilleure +1 que @DJUBS, et c’est ma +1 préférée depuis maintenant près de quinze ans. Quinze ans à écouter au moins une personne par semaine nous demander pourquoi nous ne sommes pas un «couple». Mais quinze ans à ne pas craindre une mauvaise soirée à cause d’une +1 désagréable/dépassée par les événements. Par exemple, je doute fortement que @DJUBS soit à la recherche d’intelligence en ce jeudi soir. Mais on sert du vin et c’est tout ce qui lui importe.
Par contre, ce n’est pas tout ce qui m’importe. Un verre de vin de traiteur à 9$ servi dans un verre de plastique a tôt fait d’enclencher le questionnement perpétuel qui m’habite tous les jours de ma vie: suis-je snob de m’offusquer d’une telle situation? Questionnement qui ne fait que s’accentuer alors que débute le monologue d’un protagoniste sur scène qui cherche à me faire réfléchir à quelque chose de vrai. Twitter est mentionné au même instant où je reçois le premier Snap Chat d’Helen de la soirée. Même si j’ai l’impression d’être et de vivre l’ironie complète de la prose scénarisée du maître de cérémonie, je suis incapable de soutenir la pression d’un tel discours, qui se veut quelque chose comme de la postmodernité, de la part d’un homme mis en scène et éclairé par des projecteurs sur une scène.
Nous quittons rapidement vers le bar Mme Lee. Tout est plus simple (la carte des vins aussi, malheureusement). Isaac raconte sa rencontre avec Tommy Ton. Jeff me parle des 20 commentaires négatifs sous ma première chronique. Christian parle de son emploi pendant que sa blonde semble envoyer un Friend Request à quelqu’un autour de la table. Brige vit son Montréal hors Toronto. @DJUBS boit du vin. Je maximise mes 13% de batteries dans le cadre d’une conversation Facebook chat avec une styliste que j’aime comparer à Kate Moss (à défaut de répondre à Helen). Bref, nous (ne) vivons (rien de particulier). Certains quittent tôt, car au fond, ce n’est qu’un jeudi anonyme 2013.
Or, Isaac et Jeff me vendent l’idée d’un nouvel établissement. Je poursuis ma soirée à ce que je nommerai sur mon Check-In Foursquare l’Appart 200. Feu Ballroom sur St-Laurent. L’endroit me donne une impression pastiche d’un loft adulescent avec sa chambre à coucher ouverte et les nombreuses arcades fonctionnelles. Je suis assez certain d’avoir complètement épuisé ma batterie d’iPhone quelque part entre ma course à NASCAR Daytona USA et ma joute de mini basketball contre Brige. Le groupe rit. Le groupe a du plaisir. Le groupe est partiellement saoul au rythme de la pièce Your Love de The Outfield. On aurait pu croire à une scène du film Big avec Tom Hanks pré Oscar. Il semble même que le bar se soit rempli plus tard grâce à une délégation d’étudiantes du HEC en jupes courtes.
Fredric Jameson disait du pastiche qu’il était un langage mort dépossédé d’humour. Dois-je donc remettre en question le plaisir ressenti à tenter de bloquer, de ma main libre qui ne tient pas une Stella Artois, le lancer d’une amie journaliste à la CBC qui me bat à plate couture à un jeu d’arcade datant des années 90? Mon bonheur n’est-il pas davantage authentique que l’impression d’intelligence dégagée par un attroupement momentané de bien penseurs, tout aussi momentanés, et motivés par un dispositif pernicieux dans son articulation?
Je crois être à l’intersection de la rue Laurier, à bord du dernier trajet de l’autobus 55 direction Nord, lorsque je termine de lire l’article synthèse du quatrième numéro de Nouveau Projet écrit par Nicolas Langelier : « Il nous faudra, en dépit de tout, trouver le courage et la lucidité de réinventer le monde en fonction de notre propre conception de ce qui est beau, de ce qui est vrai. »
J’ai cessé, il y a bien longtemps, d’espérer un dénominateur commun qui pourrait s’apparenter à quelque chose comme du vrai. Nous avons collectivement épuisé (la rhétorique de) l’authenticité du vrai (qui n’a possiblement jamais existé) et il ne reste que de multiples perspectives qui s’équivalent dans l’absolu: un directeur du service-conseil chez Rogers est convaincu d’apprécier sa soirée au bar Confessionnal parce qu’il entend Hypnotize de Notorious B.I.G., mixée de manière approximative, pour la 956e fois de sa vie.
Immédiatement après avoir récupéré les pourcentages nécessaires de ma batterie d’iPhone, je ne peux m’empêcher de texter Helen : « Please, tell me you somehow, somewhere wish that it could all be true. Am I living this dream by myself? »
Nicolas Langelier avait peut-être raison après tout. Je remettais (déjà) en question ma relation (vouée à l’échec) avec Helen. Parce qu’elle ne sera jamais vraie (même si c’est précisément ce qui la rend si belle).
Ce soir, je préfère Kate Moss (la styliste) avec qui j’aurai bientôt rendez-vous.
Sans pour autant que tout ceci ne soit vrai.