FNC 2013: Xavier Dolan nous parle du personnage de Tom, de sa réalisation plus épurée et de son fameux «narcissistic ass»
Michael-Oliver HardingJ’ose croire que je ne vous apprends pas grand-chose en affirmant que le toujours prolifique Xavier Dolan a réalisé un quatrième long métrage, Tom à la ferme, une adaptation de la pièce du dramaturge Michel Marc Bouchard, qu’il a remporté un prix à la Mostra de Venise, qu’il a ensuite présenté son film au TIFF et qu’il cumule depuis les éloges de la critique et de l’industrie (sans pour autant faire taire un certain détracteur à la plume particulièrement acerbe – mais ça, on y reviendra).
La bonne nouvelle, c’est que nous nous rangeons parmi ceux qui ont été subjugués par ce thriller psychologique fort décalé. Quelle joie que de voir Dolan changer de registre et nous livrer un film d’effroi hitchcockien qui nage dans des eaux profondément troubles, cultivant les faux-semblants et une tension à couper au couteau! Dolan incarne ici le rôle-titre, un jeune publicitaire montréalais se rendant en région pour les funérailles de son amant défunt, mais qui constate rapidement que la mère solitaire (une bouleversante Lise Roy) n’est même pas au courant de l’homosexualité de son fils, tandis que le frère (un très inquiétant Pierre-Yves Cardinal) est une sacrée brute carburant aux menaces et à l’intimidation – tout ce qu’il faut pour entretenir le déni le plus total quant à sa propre identité…mystérieuse. Nightlife.ca a rencontré Dolan au Festival international du film de Toronto en septembre pour jaser de casting, de signature cinématographique et de l’appui du public québécois.
Nightlife.ca: Lorsque tu as assisté à la pièce de Michel Marc Bouchard, savais-tu déjà que tu voulais faire quelque chose avec cette histoire?
Dolan: Pas avant de l'avoir vue, mais dès les 15 premières minutes, je me suis dit, ‘‘hmm!’’ Plus ça avançait, plus c’était clair… C’était très cinéma, même si c’était très théâtral. C’est sûr qu’il y avait des éléments très clairement pas compatibles avec le cinéma. C’était intéressant de penser qu’on pourrait en faire un film, mais ce qui m’attirait le plus, ce n’était pas forcément ce qui y était, mais plutôt ce qui n’y était pas.
Pourquoi as-tu fait appel aux deux actrices de la pièce (Évelyne Brochu et Lise Roy) pour reprendre leurs rôles dans ton adaptation?
Je n’y tenais pas, mais elles étaient excellentes. Les acteurs de théâtre sont souvent relégués aux oubliettes quand vient le temps de faire un casting de film parce qu’on a besoin de gens connus, par exemple. Mais moi, je ne réponds pas à ces principes, je m’en câlisse d’avoir des gens connus ou pas. Je veux des gens qui sont bons.
Dans cette même optique, qu’est-ce qui te donnait envie d’interpréter le personnage de Tom?
Déjà, il y a l’idée de jouer, tout simplement, qui m’attirait beaucoup. Ce que le personnage vit est riche émotivement, et ça me parlait, le deuil qu’il traverse.
C’est un film qui fait preuve de beaucoup de retenue par rapport à ta trilogie sur les amours impossibles, surtout au niveau stylistique. C’était ton intention dès le départ?
Oui, l’intention était de simplifier beaucoup. En même temps, je n’aurais pas simplifié si le projet et le scénario ne demandaient pas ça. Pour moi, ce n’était pas le temps de filmer les gens au ralenti sur une toune de Dalida dans le Mile End, tsé? C’est un thriller. C’était important pour moi que Tom soit épuré, simple, que je me concentre sur le jeu. Après ça, comme on n’avait pas de temps ni d’argent au tournage, ce n’était pas possible d’être extrêmement sophistiqué au niveau de la réalisation, donc le film évolue selon un système stylistique extrêmement simple : close-up, plan large, close-up, plan large…
Parlons de la critique virulente du Hollywood Reporter. As-tu eu des échos de l’entourage du journaliste après avoir réagi sur Twitter avec ton désormais célèbre «you can kiss my narcissistic ass»?
J’ai un ami qui le connaît, qui m’a dit que ça l’avait relativement amusé… Mais s’il y a quelqu’un qui lit toutes les critiques et qui réagit bien aux critiques depuis le début de sa carrière, c’est moi. Je les ai toutes lues, les critiques de mes films – toutes, toutes, toutes. Je les ai annotées, je les ai relues. J’ai appris énormément de choses des critiques négatives.
La raison pour laquelle j’ai écrit à ce journaliste, ce n’est pas parce que je ne prends pas la critique – au contraire, lorsqu’elle est pertinente, elle me stimule énormément et me motive à m’améliorer. Mais manifestement, c’est une conversation stérile avec un journaliste comme ça parce que si je n’étais pas le réalisateur du film, jamais on dirait qu’on voit trop l’acteur principal. Ça s’appelle Tom à la ferme, après tout. S’il me manquait un œil, que j’étais gros et que je n’avais pas de sourcils, on pourrait me voir autant qu’on veut à l’écran, pis ça passerait… Pour différentes raisons, ce gars-là a décidé que j’étais narcissique et que je me filmais moi, mais il avait écrit la même chose à l’époque de J’ai tué ma mère, si je me souviens bien… J’incarne le rôle principal, je ne vais quand même pas me mettre hors caméra juste pour faire plaisir aux gens!
Après Laurence Anyways, tu avais dit être déçu que peu de Québécois s’étaient déplacés pour voir ton film. Quelles sont tes attentes par rapport à la sortie de Tom à la ferme l’hiver prochain?
Je n’ai vraiment aucune attente, parce que ça ne me tente pas d’être déçu. Ce que j’avais dit, c’est simplement que j’ai l’impression que les Québécois ou les Canadiens décident souvent d’aller voir un film québécois ou canadien en se disant, ‘‘c’est ma bonne action’’ ou ‘‘c’est NOTRE film québécois’’. Ils ne le voient pas comme un film en soi, mais plutôt comme ‘‘le film québécois que je vais aller voir’’, alors qu’on devrait penser en terme de quel film nous interpelle.
Tom à la ferme
Présenté au Festival du Nouveau Cinéma le 11 octobre à 19h (Cinéma Impérial) et le 13 octobre à 16h40 (Excentris)
Sortie en salle à l’hiver 2014