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Avec «Diego Star», Frédérick Pelletier signe un drame social d’une beauté âpre qui explore l’idée du Survenant
Crédit: Yannick Grandmont

Fasciné par son grand-père marin depuis la tendre enfance, le cinéaste Frédérick Pelletier a longtemps entretenu une vision idéalisée du métier, qu’il imaginait composé « de types Corto Maltese qui partaient à l’aventure ». Tout a changé le jour où le réalisateur originaire de Lévis s’est consacré à un documentaire sur les chantiers navals, projet qui l’a mis en contact avec des marins de la région portant le poids d’histoires souvent déchirantes. « Je me suis rendu compte que c’était un métier très sale, dangereux et mal payé », raconte Pelletier. « Tu ne le fais jamais par plaisir: tu te mets à vivre en décalage, t’es tellement peu à la maison que finalement quand tu es là, tu ne l’es pas vraiment… Ça crée un cycle étrange de déracinement. »
 
Ces rencontres déterminantes ont servi d’amorce à son premier long métrage, Diego Star, un drame social bouleversant qui pose un regard très sobre (et dénué de musique) sur une misère humaine qui persiste dans l’ombre, à trois petites heures de Montréal. Prix du jury et d’interprétation au dernier Festival du nouveau cinéma, le film suit le parcours de Traoré (Issaka Sawadogo), un mécanicien africain à bord du cargo éponyme en décomposition, dont les graves troubles mécaniques contraignent l’équipage à jeter l’ancre à Lévis…en plein hiver québécois. En attendant de pouvoir repartir au large, et devant composer avec des accusations sans fondement, Traoré est hébergé chez Fanny (Chloé Bourgeois de Tout est parfait), une jeune mère monoparentale au regard éteint qui ne fait que survivre. Traoré et Fanny s’apprivoisent tranquillement, alors que ces deux êtres solitaires doivent aussi, chacun à leur façon, composer avec une situation financière précaire et un climat glacial qui n’a rien de réconfortant.
Yannick Grandmont
À l’écriture du scénario (cosigné avec Simon Lavoie de Laurentie), Pelletier avait non seulement envie de filmer le territoire et les paysages propres à l’hiver québécois, mais aussi d’incorporer une trame politique qui le tenait à cœur. Bien que Diego Star dégage une noirceur parfois suffocante, celle-ci n’émane jamais des personnages, mais plutôt d’un système corrompu et sans issue. « Je voulais lever le voile sur ces travailleurs qui sortent un peu de nulle part. On ne le réalise pas, mais ils sont beaucoup au Québec, autant des Mexicains qui viennent cueillir des fruits que ceux qui terminent des jobs dans des usines ou dans la construction. À l’échelle canadienne, on a aussi ceux qui vont travailler à ‘‘Fort McMoney’’. Des régions comme le Nouveau-Brunswick et la Gaspésie se vident en partie à cause de ça. Ce sont des questions qui m’intéressent beaucoup. »
 
Aucun cliché, aucune complaisance
Certains diront que Diego Star est encore plus d'actualité compte tenu des débats musclés qui se poursuivent autour de la fameuse charte et des accommodements tant contestés. D'accord. Mais Diego Star s’élève bien au-dessus de la mêlée en abordant la question de « l’Autre » avec justesse et sensibilité, à mille lieues des raccourcis sur lesquels se rabattent certains chroniqueurs-vedettes québécois. Le réalisateur dépeint la province à travers le regard de « l’Autre » tout en évitant le piège de l’immigrant, « qui te pousse toujours dans des retranchements angéliques », explique Pelletier. « Je trouvais plus intéressant [d’explorer] cette idée du survenant – une figure importante dans la littérature québécoise – celui qui vient en sachant qu’il va repartir. Je trouve que c’est un super beau point de vue pour l’observation des choses, plutôt que celui qui veut s’implanter et qui est soit accepté ou rejeté. Le point de vue est beaucoup plus large; on n’a pas besoin d’aborder autant l’intégration et l’assimilation. »
 
Diego Star sort finalement au Québec après avoir récolté moult prix et tourné dans plus d’une vingtaine de festivals à l’international, dont plusieurs villes portuaires européennes où notre réalité nordique aurait trouvé écho, selon Pelletier. Le réalisateur nous parle d’un circuit festivalier truffé d’échanges enrichissants avec plusieurs publics, mais il n’est pas prêt d’oublier de sitôt la réaction des cinéphiles slovènes. « Là, ils tombaient sur le cul, parce que pour eux, le Canada est le ‘‘plusse meilleur pays au monde’’, pour citer Jean Chrétien. Les gens n’arrivaient pas à croire que le Canada est aussi un pays de misère, croche, et qu’il y a une certaine corruption, un certain laisser-aller. En plus, je crois qu’au Québec et au Canada en général, on vit dans une société très raciste qui n’ose plus le dire, mais ça se fait de façon très désincarnée. Il y a toutes sortes de petits réflexes racistes, de mises à distance de l’autre qui se passent à tous les jours, à tous les niveaux. »
 
Diego Star
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