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Chronique de fin de soirée: la spectaculaire passion populaire pour Montréal, une ville de hockey.

Tous les printemps (ou presque), la ville est hockey. Et tous ensemble, on se permet un beau grand rêve: celui que le Canadien de Montréal remporte sa 25e Coupe Stanley.
 
Le problème, c’est que trop souvent, le rêve devient réalité. Évidemment, on ne remporte pas ladite Coupe Stanley, mais on transforme ce rêve en une spectaculaire passion populaire pour Montréal.
 
Samedi dernier, François Cardinal publiait dans La Presse une chronique intitulée «La fierté a (à nouveau) une ville», dans laquelle il expose ce dont Montréal a besoin: une équipe de hockey gagnante pour motiver ses aspirations à un monde meilleur.
 
Je crois qu’il a tout faux.
 
Du pain, des jeux et l’opium du peuple.
 
Selon François Cardinal, un certain optimisme planerait sur la métropole. Quelque part entre la crise galopante des fonds de pension des employés municipaux, le retour au pouvoir de dirigeants politiques issus de la même génération toujours sous enquête devant la Commission Charbonneau, les pouvoirs décentralisés au sein d’arrondissements désorganisés, les infrastructures à l’abandon et les bonjour/hi : il y aurait de beaux jours à l’horizon.
 
Prions ensemble, Carey «Jesus» Price nous amène en demi-finale.
 
Denis Coderre peut bien jouer les prophètes devant la Chambre de commerce de Manhattan, mais il ne faudrait pas oublier ses coupes massives dans la fonction municipale au cours des prochaines années parce que la Sainte-Flanelle flotte devant l’hôtel de ville de Boston.
 
Ce n’est pas parce que la ville de Québec compte également un coach capable de «parler fort dans chambre», qu’il faut nécessairement prendre l’énergie insufflée par un possible retour des Nordiques de Québec comme un indicateur de performance.  François Cardinal peut bien solliciter l’opinion d’un spécialiste en marketing sportif pour expliquer que le sport apporte un « storytelling » salvateur à une ville, mais la construction de l’amphithéâtre de Québec représente un spectaculaire exemple de panem et circenses.  N’oublions pas le « bâillon » controversé demandé par Pauline Marois, alors dans l’opposition, pour faciliter le financement public (obscur) de la construction de l’enceinte qui bénéficiera au principal intéressé par le retour d’un club de hockey à Québec : Pierre Karl Péladeau, feu président du conseil d’administration d’Hydro-Québec et maintenant député de St-Jérôme sous l’égide du Parti Québécois.
Il est vrai que le sport peut devenir un vecteur d’espoir. Oublions l’exemple de la Pologne (Euro 2012) cité par Cardinal, où tout est à bâtir incluant le statut des femmes, pour adresser la Coupe du monde de rugby en Afrique du Sud. L’événement sportif se voulait un levier à un mouvement populaire revendicateur, fort et historiquement pertinent. Mercredi dernier, la foule sur Ste-Catherine ne revendiquait rien du tout. À travers les slogans imbibés d’alcool et les petites escarmouches entre étrangers impulsifs, on parlait surtout de Milan Lucic et d’Henrik Lundqvist. Et c'est correct, lorsqu'on en demeure pleinement conscient.
 
Si les gladiateurs redonnent foi en une ville, si la fierté d’une population réside sur le sort de quelques millionnaires qui performent dans un environnement aux règles plus ou moins arbitraires selon le pointage et la période, le sport est donc surtout à l’image de son peuple; et non un vecteur de fierté.
 
Si le rayonnement de Montréal réside entre les mains de Jimmy Fallon, si le « place branding » de Montréal est en jeu toutes les fois où une bande de casseurs se défoulent publiquement après une victoire, le statut de la ville cède sa pertinence au spectacle (médiatique).
 
Demandez à Toronto comme le suggère François Cardinal. Les Blue Jays n’ont pas gagné depuis belle lurette, les Leafs ne font plus peur à personne, les jeunes Raptors ont perdu contre les vieux Nets et les bévues de Rob Ford, amateur de sport par excellence, font le tour du monde. Pourtant, les comparaisons entre la Ville Reine et Montréal ont de quoi faire rougir n’importe quel investisseur qui choisit la métropole francophone pour y implanter son siège social.
 
Non, Montréal ne doit pas s’abreuver de passion sportive. En tout cas, pas celle du Canadien de Montréal et de sa Ligue nationale à peine plus populaire et mieux gérée que la WWE aux États-Unis. La ville a besoin de faire fi des hot-dogs et des jeux (comme je l’écrivais à propos du retour « possible » des Expos).
 
Parce que la fierté des citoyens ne devrait pas dépendre de la santé des genoux de son gardien de but #1. Montréal doit se réveiller de son sommeil profond, cesser de regarder les ombres se passer la rondelle tout au fond du Centre Bell, et découvrir une source de fierté ailleurs, dans le concret moins spectaculaire et monotone de la vie de tous les jours.
 
Rêvons à Zurich, Helsinki, Copenhague ou Vienne; et cessons d’espérer que le Messie blanchisse Rick Nash, Martin St-Louis et Brad Richards. Ne nous soumettons pas à la tentation, et délivrons-nous du mal par et pour nous-mêmes.
 
Amen.

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