«Détruire, nous allons»: Philippe Boutin présente son concept théâtral délirant sur un terrain de foot à Longueuil
Hélène BoucherIl est gonflé à bloc, regard pétillant, l’imaginaire et le romantisme en porte-voix. Philippe Boutin, metteur en scène de l’étonnante et singulière pièce-événement Détruire, nous allons, présentée le samedi 7 juin au Centre sportif du Cégep Édouard-Montpetit, porte en lui la ferveur du poète-athlète, l’audace et le grain de folie d’Artaud et de son «théâtre total». Rencontre avec un partisan de l’acte scénique sans limite, sans réserve, dicté par la sueur et le cœur.
Germe épique de Détruire, nous allons
C’était en 2013, en ouverture de la 7e édition du festival OFFTA. Un ovni dans le paysage théâtral, un événement éclaté amalgamant danse, corps en mouvement sur terrain de football, extraits de grands textes de la littérature universelle empruntés à Rostand (Cyrano), Camus (Caligula), Shakespeare (Hamlet) et autres. Un concept délirant réunissant une quarantaine d’acteurs-danseurs dont une seule femme. Cet univers viril se déploie autour d’une histoire d’amour déchirante qui se transpose dans le temps. La mise en scène d’une telle manifestation lyrique et physique a germé dans l’esprit de Philippe Boutin, au sortir de sa formation en théâtre à Lionel-Groulx. Il s’attaque alors à sa «première grosse création», comme il se plait de la définir, dans un élan créatif boulimique: «On avait un an pour monter le show, et j’ai décidé de tout mettre dedans, tout ce que j’aime et qui a un sens. Je suis tombé en amour avec des chorégraphies d’inspiration japonaise destinées à un groupe de 40 gars. Je voulais aussi cadrer le décor dans un gymnase, où c’était bien militaire. De là est né le projet, le nombre à la base de la chorégraphie», explique-t-il.
Les scènes se succèdent, portées par un souffle épique, une dimension qu’il n’hésite pas à rehausser en empruntant aux grandes pages de la littérature universelle. En plus de camper la scénographie dans un lieu grandiose de notre ère, un terrain de football, il puise dans les chefs d’œuvre poétiques de l’humanité. «Je voulais quelque chose de grandiose, un terrain de football à remplir par des corps dans l’espace. On passe ainsi d’un lieu à un autre – palais, party ou funérailles d’un personnage.» À la manière des maîtres grecs, de leur théâtre grandiose, Boutin a trouvé sa voie. D’ailleurs, avoue-t-il candidement, «les décors, j’aime pas trop ça !» Inimaginable pour lui de voir ses acteurs-danseurs se mouvoir sur une scène fermée.
Pas de théâtre sans lyrisme
La culture littéraire de Philippe Boutin s’avère des plus foisonnantes. Les mots, les courants et la vie des écrivains le fascinent. Son âme romantique s’abreuve notamment dans l’œuvre du poète et dramaturge québécois Claude Gauvreau. Être au destin tragique, l’unique poète du groupe automatiste et signataire du Refus global l’inspire. Sa vie, sa relation d’amour dévastatrice avec l’actrice Muriel Guilbault, qui mit fin à sa vie le laissant désespéré, le touche. L’amour qui fait mal et anéantit est le fil de sa pièce. Autre grand maître de son imaginaire: Alejandro Jodorowsky. L’artiste multidisciplinaire chilien, acteur et réalisateur de films cultes, occupe une place de choix. «Il est mon mentor, mon exemple créateur et spirituel. C'est un poète. Un homme. Un être bon», exprime Boutin, pour qui l’art a le pouvoir de guérir. Rien de moins.
Dominic Berthiaume
Tandem St-Pierre/Boutin
Le boute-en-train metteur en scène voue à la danse une réelle spiritualité. Il s’est illustré parmi les danseurs du spectacle Foudres de Dave St-Pierre. Leurs forces créatives respectives se sont unies dans la mise en scène de Détruire, nous allons. Si la pièce se déploie à 100% dans l’imaginaire de Boutin, St-Pierre en a été le mentor en y cadrant les éléments. Face au fougueux Boutin, St-Pierre a veillé à garder un certain ordonnancement des idées. «Il n’a pas fait de ménage dans tout ça: il a collaboré comme un chorégraphe, en améliorant les petites choses», relate Philippe Boutin, qui ne se lasse pas de regarder des corps se rapprocher, sans parole, sans aucun autre stimulus.
À quoi songe Philippe Boutin dans son horizon de créateur marathonien? L’écriture, certes, autour d’un recueil poétique. Et une prochaine pièce qui pourrait bien être son chant du cygne. Déjà, un concept se profile, un spectacle intitulé The Rise of the BlingBling. Les mêmes paramètres que Détruire, nous allons l’interpellent: un spectacle à grand déploiement, auquel se greffera mysticisme, spiritualité et pop. Deux personnages s’y confronteront: Samouraï Jésus et Voldemort. Pas d’autres indices pour nous mettre l’eau à la bouche, si ce n’est ce goût savoureux de la démesure, griffe de Boutin. «Assurément, je cherche à travailler dans un vaste espace. Un lieu extérieur. Je cherche l'excès. Puisque c'est dans l'excès qu'on se trouve véritablement. Nous et les autres…»
Détruire, nous allons
Samedi 7 juin à 20h30
Terrain de football du Centre sportif du Cégep Édouard-Montpetit (Longueuil) | couronnenord.ca