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2014, l’année du cinéma français au TIFF
Crédit: Images tirées de: Bande de filles, Une nouvelle amie, Samba et Eden

Le Festival international du film de Toronto vient à peine de terminer que les prophètes des remises de statuettes s’activent déjà, s’aventurant sur le terrain épineux des prédictions hâtives. Pour l’instant, quatre titres retiennent l’attention des ces oracles de la consécration hollywoodienne: The Imitation Game et The Theory of Everything, deux films britanniques relatant le parcours de prodiges du 20e siècle (le cryptologue Alan Turing et l’astrophysicien Stephen Hawking); Wild, la nouvelle offrande de Jean-Marc Vallée; et Foxcatcher, tragédie troublante sur fond de lutte olympique de Bennett Miller.
 
Pour ma part, je me souviendrai de cette 39e édition du TIFF pour le rayonnement du cinéma français, qui s’est imposé plus que jamais avec une sélection de 41 films – un record salué par les programmateurs du TIFF. Statistique d’autant plus impressionnante lorsqu’on tient compte de la crise existentielle que traverse le cinéma français, et des polémiques de rentabilité avec lesquelles le milieu doit composer. Comme me disait le réalisateur Éric Toledano (Intouchables, Samba) cette semaine, «il faut sortir de France pour se rendre compte à quel point on a un beau cinéma. Parfois, la complainte française est tellement énorme… qu’on n'a plus conscience d’à quel point notre cinéma est varié. Maintenant, il y a des polémiques sur le cinéma en France, des polémiques un peu sur tout… Il faut vraiment qu’on sorte de cette période.» Au delà de la taille de cette imposante délégation française, la qualité de ses films était également à noter. Dans leur ensemble, ces quarante points de vue cinématographiques dressent un portrait riche et bigarré de l’identité française en 2014, de ses préoccupations et de ses grands enjeux. Survol des 5 films «hexagonaux» les plus marquants et des thèmes soulevés par chacun.
 
 
1. L’immigration clandestine dans Samba
(Olivier Nakache et Eric Toledano)

Un feel-good movie à propos d’un travailleur sans papiers luttant pour sa survie et risquant la déportation? Peu de réalisateurs pourraient relever un tel pari. Sauf peut-être le tandem derrière Intouchables, Eric Toledano et Olivier Nakache, qui revient à la charge avec cette comédie romantique sur fond de crise économique. Tous les ingrédients sont d’ailleurs réunis pour qu’elle surpasse les recettes d’Intouchables, deuxième plus grand succès de l’histoire du cinéma français. Omar Sy est désarmant dans le rôle de l’héros éponyme, un travailleur sénégalais timide qui se lie d’amitié et d’affection pour une assistante juridique, Alice (Charlotte Gainsbourg). Pour sa part, la muse de Lars von Trier nous rappelle que son registre s’étend au-delà de la détresse psychologique. Son Alice, réservée mais charmante dans sa maladresse, nous met le sourire aux lèvres à plus d’une reprise. Un portrait romancé quoique tout à fait lucide du gouffre qui sépare les mieux nantis des migrants.
 
Éric Toledano nous a dit: «La société française traverse une crise économique assez dure, et le corollaire de cette crise est que les gens se crispent un peu, commencent à se regarder différemment. On a vécu plusieurs séquences assez dures ces dernières années, tantôt contre les homosexuels, tantôt contre les Noirs. L’ambiance est mauvaise et les gens ne réagissent pas beaucoup. Donc, après Intouchables, il nous paraissait important de proposer quelque chose avec un point de vue social. Le sujet du film, c’est le travail: par le haut avec le burn-out, par le bas avec l’exploitation qu’on peut faire des travailleurs sans papiers, qui n’ont pas les mêmes droits.»
 
2. La contreculture dans Eden
(Mia Hansen-Løve)

À la première projection d’Eden, Mia Hansen-Løve s’est empressée d’avertir le public: «Ceux qui s’attendent à un biopic des Daft Punk devraient quitter la salle de ce pas. Il n’est pas trop tard.» Cela donne une idée des attentes vertigineuses de ceux qui ont grandi avec la French Touch. Rares sont les films capables de replonger le spectateur au cœur d’un moment charnière de l’histoire de la musique (on pense à 24 Hour Party People ou Berlin Calling). Mais voilà que la réalisatrice, connue pour ses portraits sensibles d’une jeunesse confrontée à un tournant décisif, tisse la trajectoire impressionniste de Paul, un jeune DJ de house/garage évoluant dans la scène parisienne des années 1990 aux côtés de Guy-Manuel de Homem-Christo et Thomas Bangalter (yep, les Daft Punk). Un projet extrêmement ambitieux (le scénario s’étale de 1992 à 2013) et personnel (inspiré du parcours de Sven Hansen-Løve, frère ainé de la réalisatrice et figure de premier plan de cette scène parisienne), Eden offre un regard lucide et émouvant sur ce monde éphémère. Hansen-Løve refuse de mettre en scène de grandes manœuvres dramatiques, optant plutôt pour une succession de scènes «autonomes» dont l’impact se mesure dans leur effet cumulatif. Avec la fête, Paul ne voit pas le temps passer. Son entourage finit par tourner la page alors qu’il nage toujours dans les mêmes eaux quatorze ans plus tard, plus aigri et moins pétillant. Une belle réflexion sur les sacrifices que certains font pour vivre leurs rêves jusqu’au bout.
 
Mia Hansen-Løve nous a dit: «Sven et moi avions tous les deux le sentiment qu’il y avait quelque chose de très excitant là-dedans, dans le fait que personne n’avait encore fait un film qui parlait de notre génération. J’ai commencé à penser à l’idée de faire un film autour du parcours de Sven, de sa carrière de DJ, de son rapport à la musique… On avait le souci commun tout au long du projet, tant au niveau de l’écriture, de la préparation que du tournage, d’être extrêmement précis, exigeant, rigoureux sur tout ce qui concernait l’aspect reconstitution historique. On avait cette obsession d’être aussi authentique qu’on pouvait l’être. C’était d’autant plus excitant car c’était un terrain vierge. Si ça devait être le premier film de fiction sur la house, il fallait que ce soit extrêmement juste. Tout cet aspect de reconstitution d’un univers était à la fois émouvant et ludique.»
 
3. La confusion des genres dans Une nouvelle amie
(François Ozon)

François Ozon s’amuse depuis toujours à dynamiter toute une pléiade de codes identitaires étouffants (Swimming Pool, Le temps qui reste, 8 femmes), mais il n’a probablement jamais autant pris plaisir à le faire qu’avec Une nouvelle amie, un thriller hitchcockien fort habile dans lequel Romain Duris se transforme en…héroïne transgenre. Tourné en partie au Québec, Une nouvelle amie s’intéresse à la renaissance de David (Duris), un homme en deuil suite à la mort de sa femme, qui s’émancipe en devenant «Virginia» et en incarnant à la fois la figure paternelle et maternelle pour son jeune bébé. Lorsque la meilleure amie bourgeoise et coincée (Anaïs Demoustier) de sa défunte femme le surprend en drag, elle le traite d’abord de «pervert», mais change rapidement de ton lorsqu’elle retrouve sa propre féminité, au fil de séances de shopping et de weekends passés entre «copines» dans le plus grand secret. Un pied de nez aux constructions sociales et un délire subversif qui incitera peut-être quelques spectateurs à embrasser leur féminité. Comme le rappelle David/Virginia, «faut essayer, faut pas mourir idiote.»  
 
Anaïs Demoustier nous a dit: «Je crois que la sortie en salles du film sera très difficile pour François Ozon. Je pense qu’il va vraiment se faire lyncher, ça va être très compliqué pour lui. Il y a une très grosse tension en France par rapport à cette chose-là, le mariage pour tous. Il y a une grande violence qui s’est développée chez les gens et c’était vraiment difficile d’assister à ça. C’était incompréhensible, une telle ferveur contre l’autre. Ça m’a rendu très triste. Je pense que le film est la cible parfaite pour que ces gens-là expriment leur haine… Donc, à mon avis, ça va être compliqué. » 
 
4. Le «girl power» dans Bande de filles
(Céline Sciamma)

Portrait exaltant d’une adolescence vécue dans les cités de la région parisienne, Bande de filles nous présente Marième (une Karidja Touré lumineuse), fille solitaire qui traverse une impasse à l’école et appréhende son éveil sexuel avec un tombeur du voisinage. Lorsqu’un groupe de filles émancipées, à l’énergie débordante, l’invitent à rejoindre leur gang, Marième devient alors Vic (« pour Victoire ») et gagne en assurance. Transgressions, bagarres, chorégraphies de quartier et amitiés tissées serrées, un nouveau monde s’ouvre à notre héroïne, alors qu’elle effectue le passage à l’âge adulte. La réalisatrice Céline Sciamma (Tomboy) se tient bien loin des clichés du «coming of age» et du gros sentimentalisme, optant plutôt pour un regard tendre, réaliste et sans jugement sur une bande de filles solidaires. Les actrices non-professionnelles sont éblouissantes, la trame sonore de Para One hypnotique, les images saturées et oniriques, et le plan-séquence sur Diamonds de Rihanna, d’une beauté émouvante. Belles comme des diamants dans le ciel, indeed.
 
Karidja Touré nous a dit: «J’ai été repérée à la Foire du Trône, c’est une fête foraine parisienne. Comme il n’y a pas beaucoup d’actrices noires à Paris, enfin en France, ils ont été obligés de faire un casting sauvage. Si j’y pense, parmi les acteurs noirs, il n’y a que Omar Sy qui est connu en France, sinon il y a Aïssa Maïga et après, je ne vois personne d’autre. C’est pour ça que Céline voulait faire ce film, d’ailleurs. On a déjà vu des commentaires comme quoi Bande de filles serait un film raciste parce qu’il n’y a que des Noirs; alors qu’il y a des films français avec que des Blancs, mais ça on n’en parle jamais.»
 
5. La religion et le rap dans Qu’Allah bénisse la France
(Abd Al Malik)

En portant son autobiographie coup-de-poing (2004) au grand écran, le rappeur, auteur et désormais réalisateur Abd Al Malik livre une percutante déclaration d’amour au cinéma. Il met en images sa poésie à forte résonance sociale dans un noir et blanc qui évoque le She’s Gotta Have It de Spike Lee et La Haine de Mathieu Kassovitz. Tourné dans la cité de Neuhof à Strasbourg, avec une majorité d’acteurs non-professionnels, le film relate le parcours de Régis, un ado brillant de foi catholique qui fait de son mieux pour échapper au ghetto et trouver sa voie. Baignant malgré lui dans un enfer de violence, de délinquance et de racisme, il trouvera son salut dans le hip-hop et l’Islam. Auréolé du prix FIPRESCI au TIFF hier, les thèmes abordés dans Qu’Allah bénisse traverseront les frontières de l’Hexagone pour trouver écho à l’étranger. Dans le film, une copine conseille au personnage inspiré d’Al Malik: «On doit être une passerelle culturelle et rassurer l’Occident, parce que c’est nous aussi, la France.» Avec Qu’Allah bénisse la France, le rappeur strasbourgeois devient rien de moins qu’un représentant de premier ordre de la culture française à l’étranger.
 
Abd Al Malik nous a dit: «Lorsqu’on parle des cités, des quartiers ou de ce qui peut se passer par rapport aux problématiques sociales en France, souvent on prend comme exemple les banlieues parisiennes, un peu à Marseille et peut-être un peu à Lyon. Mais la France ne s’arrête pas à Paris et la banlieue parisienne. La France est un pays avec plusieurs grandes villes avec des us et coutumes différents, un langage et une manière d’être au monde différents. Strasbourg est une ville très germanique, à la frontière allemande; il y a une mixité entre les Gitans, les Alsaciens blancs, les Français d’origine maghrébine, les Noirs. Il y a quelque chose qui est particulier à notre région. Et ça, je voulais le mettre en lumière parce qu’encore une fois, il s’agissait de montrer quelque chose qu’on ne voit pas. Quelqu’un a dit que le rôle du cinéma est de montrer une terre étrangère. C’est peut-être une terre étrangère, mais elle est traversée par la même humanité que partout ailleurs dans le monde. L’histoire du cheminement d’un être vaut pour vous, pour moi, pour tout le monde.»
 
Festival international du film de Toronto | tiff.net 

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