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Critique de «Mommy»: la flamboyance de Dolan à son meilleur
Crédit: Anne Dorval et Xavier Dolan / © Shayne Laverdière

La turbulente scène d’ouverture donne le ton aux deux heures qui suivent, d’une intensité étourdissante. Deux véhicules entrent en collision. La conductrice qui encaisse le coup, Diane Després alias «Die» (une Anne Dorval au sommet de son art), sort du char pour nous révéler ses jeans patchwork, ses souliers plateformes et ses mèches outrancières. Ébranlée, le visage ensanglanté, marmonnant quelques «mon ostie de tabarn…» bien sentis au conducteur coupable, elle prend un appel. On lui apprend que son fils hyperactif (Antoine Olivier Pilon, explosif) vient de mettre le feu à son centre d’accueil. Sa réaction? J’m’en viens!
 
Die est une guerrière, une warrior de premier ordre. Veuve depuis trois ans, elle élève Steve, un ado affectueux mais dangereux malgré lui, atteint d’un trouble du déficit de l'attention qui s’est aggravé depuis la mort du père. «Quand y pète une fuse, tasse-toi de d’là parce que ça joue rough», résume-t-elle tout bonnement à propos de son fils. On pensera ce qu’on voudra des fringues aguicheuses de Die ou de ses mouchoirs aux imprimés de lèvres pulpeuses, mais on ne pourra mettre en doute son dévouement sans borne à Steve. On ne lui reprochera surtout pas d’arroser son café de Crown Royal. Si la garde de Steve nous revenait, c’est la bouteille au complet qu’on se verserait.
 
Hautement dysfonctionnelle, la dynamique mère-fils est aussi ponctuée de moments attendrissants, comme cette scène particulièrement émouvante où Steve réconforte une Die larmoyante avec toute l’assurance de l’homme «chef de famille». Mais les choses se détériorent rapidement, et ce n’est qu’avec l’arrivée de Kyla, l’énigmatique voisine d’en face (Suzanne Clément, percutante), que les Després trouveront un semblant d’équilibre. Cette enseignante en congé sabbatique, qui bégaye suite à un traumatisme inconnu, deviendra peu à peu la confidente de Die et l’institutrice de Steve. Kyla gagnera elle aussi en assurance au sein de cette famille haute en couleurs (pour utiliser un grand euphémisme).
Anne Dorval et Antoine Olivier Pilon / © Shayne Laverdière 
Mommy s’inscrit comme l’aboutissement d’une réflexion sur les relations mère-fils que Dolan entamait en 2009 avec J’ai tué ma mère. Alors que ce premier long métrage nous livrait le témoignage d’un fils révolté, Mommy est raconté du point de vue de la maman héroïne, d’une équanimité digne de mère Teresa. Rien n’est à l’épreuve de cette femme, qui doit composer avec un fils incandescent et épuisant comme peu d’ados l’ont déjà été au cinéma – y compris Hubert (Dolan) dans l’autobiographique J’ai tué ma mère… Et pourtant, elle regarde droit devant, prête à n’importe quoi pour joindre les deux bouts. Quand un boulot de traduction lui est proposé, elle convainc son interlocuteur de ses qualifications ainsi: «Tu sors le Larousse, pis l’affaire est ketchup!»
 
Le grand talent de Dolan pour les répliques désopilantes et les dialogues livrés en mode mitraillette s’apprécie dès la première confrontation du film. Son utilisation de chansons populaires (de Oasis à Counting Crows sans oublier une scène culminante reposant sur un hit de Céline) donne lieu à de beaux moments lyriques, qui dosent Mommy de petites périodes d’accalmie avant de replonger dans la frénésie du mélodrame. Le fameux ratio 1:1 que privilégie le directeur photo André Turpin (Incendies, Congorama) s’avère un choix judicieux. Le format carré restreint notre champ de vision lors de scènes particulièrement suffocantes, ne cadrant rien d'autre que le tourbillon émotionnel des personnages.
 
Mais la grande réussite de Mommy, c’est la direction d’acteurs hors pair de Dolan. Un tel drame à portée volcanique aurait facilement pu voir certaines scènes déraper, dérailler, déborder dans les excès de mise en scène. Le tout aurait aussi facilement pu tomber dans la caricature de banlieusards clinquants. Mais le jeune réalisateur sait habilement doser les performances de ses trois interprètes pour en extraire une œuvre sidérante, d’un optimisme déconcertant, à propos d’une famille d’indomptables, prêts à se battre jusqu’au bout. Une puissante déclaration d’amour à la figure maternelle.
 
Mommy
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