Aller au contenu
Lynn Fainchtein (‘Amores Perros’, ‘Precious’) nous éclaire sur le métier de directrice musicale
Crédit: RIDM

Impossible de rester de glace devant les dernières minutes de Babel, cette puissante réflexion sur l’incommunicabilité. La pièce «Bibo no Aozora» du compositeur Ryuichi Sakamoto vient nourrir et même élargir la portée des images: une jeune Japonaise sourde-muette, dans son plus simple appareil, seule au monde sur ce balcon devant une vue imprenable de Tokyo, qui éclate en sanglots au moment d’enlacer son père.

Un mariage audiovisuel éloquent, qui vient nous chercher par les tripes. Ce choix judicieux, on ne le doit pas au réalisateur Alejandro González Iñárritu (Birdman, Biutiful, Amores Perros), mais plutôt à sa directrice musicale Lynn Fainchtein, une sommité dans le milieu depuis 15 ans. La feuille de route de cette éminente Mexicaine comprend notamment les films d’Iñárritu et ceux de Lee Daniels (Precious, The Paperboy, The Butler), ainsi que Sin Nombre, On The Road, Miss Bala, Maria Full of Grace et des dizaines d’autres titres. Fainchtein est sans conteste la directrice musicale la plus en demande de l’Amérique Latine, et elle était de passage à Montréal pour siéger sur le jury des RIDM, en plus de participer au panel 3, 2, 1, Synchro! de Doc Circuit Montréal / M pour Montréal.
 
Ceux qui levaient le nez sur ce métier méconnu ont dû liquider leurs idées préconçues à la lumière du panel, au cours duquel trois directrices musicales d’expérience – Fainchtein, Jocelyn Brown (Chicago) et Heather Gardner Adamo (Toronto) – ont relevé le défi d’imaginer la trame sonore d’un documentaire à partir d’une banque musicale proposée par M pour Montréal. Le résultat? Trois voyages sonores singuliers et hautement subjectifs qui ont déchaîné les passions du public.
 
Bien qu’elle ait décrit l’expérience comme inhabituelle, puisqu’on lui imposait une sélection musicale qui n’avait rien à voir avec la thématique cubaine du film, Fainchtein a apprécié la liberté de l’exercice. «Habituellement, j’épluche minutieusement le scénario en m’arrêtant d’abord sur ce qui est le plus pressant: les ententes qu’on doit conclure en vue du tournage, comme les morceaux qu’un personnage chante dans le film, explique-t-elle. Ensuite, je m’attaque à la postproduction, en évaluant si chaque scène serait mieux servie par une chanson, une partition musicale ou encore rien du tout.»

Crédit: RIDM 
Jouer la game
Lorsque j’évoque les difficultés d’un métier où il y a beaucoup d’appelés mais peu d’élus (ils ne seraient que trois pour l’ensemble du territoire mexicain, selon elle), Fainchtein souligne d’emblée la crise secouant l’industrie du disque. À son avis, les gros labels sont passés maîtres dans l’art…de nuire à son travail. «Malheureusement, 90% de mon boulot consiste à attendre les devis des département légaux de labels, qui ne vendent plus de disques, et qui misent donc sur les retombées du merchandising, des concerts, de la publicité et du cinéma.» Elle affirme que les prix relatifs aux droits d’utilisation ont explosé depuis dix ans, rendant son boulot considérablement plus ardu. «C’est comme à Las Vegas: les labels jouent au casino. Tu peux travailler sur un petit film indie panaméen, mais si Robert De Niro figure au casting, les devis iront jusqu’à 50 000$ pour une seule chanson. Même s’il s’agit d’un petit film, que j’écris un courriel de deux pages expliquant d’où provient le financement et depuis quand le film est en développement… Ils s’en balancent. Ils voient Robert De Niro, et ils veulent 50 000$.»
 
Courtiser la scène locale
Le dénouement heureux dans tout ce marchandage de l’art? Pour sauver dans les coûts, Fainchtein fait énormément appel aux musiciens de Mexico D.F., sa ville de résidence. Cela fait depuis le début des années 1990 que Fainchtein cultive des liens étroits avec la scène locale. D’abord comme animatrice radio, alors qu'elle fut l’une des premières femmes à la barre d’une émission rock au pays. Ensuite, comme directrice de la programmation pour MTV Latinoamérica, ce qui lui a permis de peaufiner son expertise. « Ce fut fondamental à mon apprentissage!» avance-t-elle sans hésiter. Fainchtein a profité de son passage à MTV pour prendre en charge plusieurs émissions spécialisées: celles consacrées à la musique électronique et au métal. «C’était l’époque de Goldie, du jungle, de l’acid jazz, et les clips qu’on passait à ces émissions étaient remarquables. Je vouais un culte à Aphex TwinMarilyn Manson et tous les vidéos de [la réalisatrice] Floria Sigismondi. Quand j’ai commencé à travailler comme directrice musicale, sur des films comme Amores Perros, la grande école d’MTV a agréablement coloré et déteint sur mon travail. »

Cette année, son projet le plus en vue est Birdman, réflexion incisive d’Iñárritu sur la gloire éphémère et notre besoin d'être aimé. Aux yeux de celle qui choisit ses projets avec grande parcimonie (jamais plus de dix par année), elle se considère énormément privilégiée de collaborer avec son comparse mexicain. «Les histoires qu’il raconte me touchent profondément. Il y a toujours quelque chose dans ma vie privée qui rejoint le propos de ses films. Alejandro et moi partageons une grande passion pour la musique: c’est le seul réalisateur auquel j’envoie constamment des listes de chansons, et il va tout écouter. Sa curiosité musicale est sans borne, ce qui rend notre collaboration d’autant plus stimulante.»
 
Birdman | Maintenant en salles (Lisez notre critique ici
Rencontres internationales du documentaire de Montréal | ridm.qc.ca 

Plus de contenu