Tout d’abord, on ne voit rien d’autre qu’une vitrine vide et une simple petite affichette sur la porte en forme de symbole de type franc-maçon. Puis, on entre et on tombe nez à nez avec une série de chandelles ayant savamment coulé sur un vieux guéridon, avant de découvrir une salle à manger intime toute en longueur d’une trentaine de places, suivie d’un bar et de la cuisine ouverte dans laquelle s’activent plusieurs hommes en short et en baskets, dont le chef Jason Morris. Toute une entrée en matière, n’est-ce pas?
Mais ne vous fiez pas à cette première impression, car derrière la sobriété des lieux se cache un immense talent. En fait, Jason Morris, dont le parcours (tables étoilées, Maison Boulud, Grumman 78, etc.) est très convaincant, a décidé de se lancer dans une aventure toute personnelle avec son complice et associé Kabir Kapoor, lui aussi rompu à l’art de la restauration depuis son plus jeune âge, puisqu’il est le petit-fils du fondateur du tout premier resto indien de Montréal, Le Taj. Ensemble, ils ont trouvé un local qui leur ressemblerait, avec une décoration bien différente du ciment/métal/bois/luminaires impressionnants/trophées d’animaux que l’on voit souvent ailleurs. On a même l’impression que les meubles qui nous entourent ont une histoire, au même titre que les tableaux au mur réalisés par le grand-père de Jason, ou encore la vaisselle fabriquée par sa mère.
Cette vision personnelle de la restauration se reflète dans le service, très souriant et enveloppant, dans la liste intelligente des vins montée par Kabir Kapoor, avide de vous faire découvrir ses derniers coups de cœur indiqués ou non sur la carte, ainsi que dans un menu très créatif qui change aux quinze jours. Alors, pourquoi avoir nommé ce restaurant Le Fantôme? « En hommage à l’histoire du lieu, répond Kabir. Dans les années 1800, le coin était occupé principalement par des travailleurs irlandais et des industries. C’est là que Mary Gallagher, une prostituée, assassinait certains de ses clients et d’autres prostituées plus jeunes et jolies qu’elle. On dit que son âme hante encore le quartier. Nous avons donc souligné cette portion historique, tout en utilisant le symbole du triangle, qui peut nous faire penser aux trois angles enfer/purgatoire/paradis, ainsi que celui de l’œil fantomatique. » Original.
Cette mise en contexte une fois faite, on peut s’intéresser au détail du menu. Ce dernier comporte une série de cinq entrées, cinq plats, un choix de fromages, quatre desserts, ainsi que des choix du jour. L’énoncé est toujours simple, deux à trois éléments tout au plus. Pourtant, il n’y a rien de si simple que cela une fois que l’on demande à en savoir plus. Effectivement, dès la mise en bouche, le soir de ma visite des fleurs d’ail en tempura (surprenant et bon), on comprend que la soirée sera tout, sauf ordinaire. Et la magie opère dès l’entrée avec un carpaccio de tomates et de nectarines fondant en bouche, ainsi qu’un incroyable pétoncle à peine cuit, délicatement assaisonné et accompagné d’oxalys (une petite fleur) et de fraises déshydratées et réhydratées, ce qui leur donne une texture et une intensité superbes avec ce mollusque.
Suivent les plats. Une poêlée de champignons homard aussi surprenante qu’élégante. Puis, du poulet frit farci d’une fine couche de boudin noir et accompagné d’une salade de maïs blanc et jaune acidulée. Et la magie gustative qui opère encore une fois avec ce plat à la fois réconfortant et déroutant, testant mon goût de la découverte et me replongeant dans mon enfance. Du pur plaisir, vraiment.
Crédit photo Sophie Ginoux
Crédit photo Sophie Ginoux
Crédit photo Sophie Ginoux
Le Fantôme
1832, rue William, Montréal
(514) 846-1832