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Le Détesteur: Jérémy l’opportuniste contre le trop bon Mike Ward
Crédit: Montage: Fabienne Legault

Il y a un truc qui m'agace dans cette histoire opposant Jérémy Gabriel à Mike Ward. Allons-y.

C'est que depuis une semaine on peut observer défiler les témoignages d'amis et collègues de Ward qui se portent à la défense de ce dernier en nous implorant de bien vouloir les croire: Mike Ward est un crisse de bon gars. Et honnêtement, je me réjouis d'entendre toutes ces anecdotes que l'humoriste tâche plus souvent qu'autrement d'humblement garder quasi secrètes. De savoir qu'il opère dans l'ombre, comme on me l'a relaté plusieurs fois, ne fait qu'exacerber toute l'estime que j'avais déjà pour lui.

Si Mike avait été un véritable trou de cul, don't worry qu'on le saurait. Le gossip circule si rapidement dans ce milieu qu'aucune anecdote n'échappe à une soirée riche en pintes. Alors quand il se dit des choses sur Mike, elles correspondent tout à fait à ce qu'il nous est permis d'entendre sur son compte dernièrement: un crisse de bon gars. Pas de doute là-dessus. Mike est bon, généreux et opère même une fois que les caméras sont éteintes.

Le truc — et c'est ici que mon malaise se manifeste — c'est que cette information est totalement accessoire. J'ai l'impression, à chaque fois que quelqu'un se lève pour relever le dévouement et l'amabilité dont fait preuve auprès d'eux Ward, qu'on cherche en réalité à faire comprendre à Jérémy la chose suivante:

«Check, moi j'le connais Mike Ward, il m'a déjà aidé, c'est une personne crissement généreuse! J'espère que tu réalises que t'es en train de causer du tort à une personne généreuse. Mike Ward ne t'a procuré aucun souci, c'est impossible, il est gentil avec moi, alors ferme donc ta yeule pis retourne chanter pour le pape!».

Crisse. J'aimerais ça pouvoir jouir de cette immunité, moi qui ai la conviction d'être une bonne personne dans la vie de tous les jours. Comme ça, je pourrais à tout moment sortir ma carte de la bienveillance qu'on me connaît bien et ainsi m'en laver les mains quand l'envie me prend de causer préjudice à qui je veux. Je n'aurais qu'à compter sur la voix de mes amis qui feraient campagne pour convaincre l'opinion publique que je suis fondamentalement un type bien, et voilà, dossier réglé.

Soyons honnêtes un peu: orchestrer une levée de fond dispense-t-il vraiment son instigateur de faire du mal à un moment ou un autre de sa vie? Évidemment pas. Il est toujours possible d'occasionner du tort, même en étant le dude le plus chill de la planète. Et pourtant, on dirait bien qu'un certain réflexe manichéen amène les gens à négliger une notion aussi élémentaire que celle-ci.

Ce n'est pas justement ce même réflexe malhonnête, partisan et dépouillé de nuance — dont on doit absolument se défaire — qui conduit les gens à vouloir faire taire et tourner au ridicule les présumées victimes d'agression qui portent plainte contre des athlètes (Patrick Kane), humoristes (Bill Cosby) ou autres figures médiatiques adulées? Opportuniste!, dit-on des survivantes de viol. Bin voyons donc, trop aimable!, trop sollicité pour devoir en venir au viol!, répète-t-on à propos des accusés vedettes.

L'histoire se répète un peu ici sur les médias sociaux alors que les fans de Mike Ward s'affairent à indiquer d'un ton vigoureusement paternaliste à Jérémy ce qu'il doit faire, comment il aurait dû réagir et combien il devrait apprendre à rire de son handicap. On banalise. On taxe d'opportunisme. Tandis que pour se porter à la défense de Mike, on s'empresse de repartager les billets qui témoignent de sa bonté et on n'en manque pas un seul.

Mais Mike Ward, c'est un badass et un badass fait parfois fi des règlements, quitte à se mettre dans la marde. Quitte à causer préjudice. Je présume qu'il n'est pas sans ignorer ces détails, au moment d'écrire et de livrer ses gags. Il s'agit alors d'un choix. Un choix qu'il assume sans problème, I guess, et les possibles dommages qu'il engendre font sans doute partie de sa liste des choses à prévoir.

Fine. C'est ça, Mike Ward. Le gars flirt avec l'interdit et des fois, il se pourrait qu'il se comporte comme une marde. All good. Je répète: c'est un badass. Et si on adhère au badass, on ne peut exiger de lui qu'il laisse à la maison irrévérence et imprévisibilité. Et si ça déborde, surtout, ne cherchons pas à le protéger, il y aurait risque alors de le dénaturer.

Alors voilà, avec Jérémy, Mike Ward s'est comporté comme une marde. C'est ce qui lui est reproché. Il s'est mis dans la marde. On n'attend rien de moins d'un badass: qu'il franchisse occasionnellement les limites du bon goût et il l'a fait. On peut trouver la blague répugnante, se montrer en désaccord. Et Jérémy peut quant à lui briser le silence afin de communiquer avec nous qu'il en a souffert.

Mike Ward n'est pas une marde. Mike Ward s'est comporté comme une marde. C'est différent.

Et là, plutôt que d'admettre qu'il a pu se comporter comme une marde, on cherche à prouver au monde entier que Mike Ward n'est pas une marde. Alors collègues, amis et fans unissent leurs voix et forment autour de lui un impénétrable cercle d'amour qui le rend si bon, si généreux, mais surtout, intouchable, sans reproche et sans faille. Le dossier est réglé tout l'monde! Mike Ward a payé un bras robotisé à son ami en chaise roulante! C'EST UNE BONNE PERSONNE, LAISSEZ LE TRANQUILLE. Et tout ceci prend soudainement des allures de covers de magazine qui pourtant, on le sait très bien, lui donneraient la nausée.

On dénature le badass. On exempte de tout tort l'homme généreux.

On matantise l'inmatantisable Mike Ward. Malgré lui.

Tout ça aux dépens de la rigueur et de l'honnêteté intellectuelles. Aux dépens d'un jeune homme handicapé à qui on ordonne depuis une semaine de fermer sa gueule.