Fanny Britt, c'est l'écrit sous toutes ses formes: théâtre, essais, bédés et textes d'opinion. Non contente de prendre toute cette place (sérieux, come on!), la voilà qui débarque avec son premier roman, Les Maisons. Une histoire universelle d'ici, ancrée bien fort dans Montréal, mais intelligible pour n'importe quel humain ayant déjà aimé.
J'ai eu la chance de m'entretenir avec l’artiste derrière ce livre affuté, qui nous lacère délicatement les yeux pour se frayer un chemin jusqu'à cette partie de notre cerveau qui dit : wow! (Je suis, comme vous le constatez, très familier avec les schémas synaptiques et la plasticité neuronale.) Elle me raconte comment on se lance dans le vide pour écrire un premier roman, la filiation du bouquin par rapport à son essai Les Tranchées, et le désir d’une Montréal omniprésente dans l’histoire. Une discussion magnétique avec une auteure incontournable.
Il est rare, ai-je arbitrairement décidé, de rencontrer une artiste établie qui redéploie son talent sur un terrain neuf. Comme je le mentionne plus haut, Fanny Britt aurait pu se contenter des eaux connues du théâtre ou de l’essai, et pourtant elle se lance dans la forme littéraire la plus en vogue de l’époque, le roman. Elle m’explique ce qui la pousse à adopter ce format: « Le roman est vraiment une forme à laquelle j’aspire depuis que j’écris. Probablement que je m’en suis défilé auparavant parce que j’en avais peur, parce que j’y tenais tellement. Je me disais : “si j’arrive puis que je ne suis pas capable, je vais tellement être déçue”. Je suis déjà juste super contente de l’avoir fait. »
Mélange d’expériences vécues et de fiction, Les Maisons était donc en gestation depuis belle lurette dans la tête de Britt. « Quelque part, le premier roman comporte toujours, j’ai l’impression, ce que tu portes depuis tellement longtemps. Je sais que c’est celui-là qu’il fallait que j’écrive en premier, qu’il fallait que je me débarrasse de cette histoire. Après ça, pour le deuxième, on verra. »
Cette histoire — le périple de Tessa, une agente d’immeubles dans la mi-trentaine, mère de trois fils, établie dans une relation à long terme et qui angoisse sur ses choix de vie — est en quelque sorte une prolongation des thèmes explorés par l’auteur dans son excellent essai Les Tranchées. Ce plaidoyer pour une maternité décomplexée, à l’aise dans l’ambiguïté, l’avait un peu laissée sur sa faim, en tant qu’écrivaine. « Quand j’ai écrit Les Tranchées, je me suis rendu compte que cette espèce de sentiment très contradictoire et rempli de ce mélange de dévouement et de violence, qui peut exister dans le cœur d’une mère, ça m’intéressait au-delà de l’essai, ça m’intéressait d’aller fouiller ça dans la fiction. Ça nous permet d’aller plus loin dans l’excès, avec la fiction, ce qu’on peut moins se permettre lorsqu’on est dans la réalité. »
En parcourant Les Maisons, on se trouve vite en présence d’une Montréal qui s’infiltre dans tous les recoins du récit. Pour ceux qui vivent ici, cela donne l’impression de lire l’histoire d’une amie qui te raconte un moment rough de sa vie; ceux qui habitent ailleurs y découvrent un merveilleux panorama de notre ville. La présence de ce personnage fantôme qui ne parle pas, mais qui est toujours là, est un choix conscient: « J’aime beaucoup la littérature qui est très incarnée dans ses lieux. Je suis une grande lectrice de littérature contemporaine, surtout britannique et américaine, puis je trouve que c’est souvent une littérature qui s’assume complètement dans son lieu. Ça me fait vivre les affaires à fond. Après, quand tu visites ces lieux-là, c’est super incarné, c’est rempli de ce que tu as lu. Comme le New York de Paul Auster, par exemple, c’est extraordinaire d’être ancré à ce point-là! »
Au fil de notre discussion, Fanny en vient à creuser un peu ce qui se cache derrière le titre de son œuvre et le boulot de Tessa, en tant qu’agente d’immeubles. Un choix qui peut sembler sans conséquence, mais qui prend tout son sens lorsqu’elle m’explique ce qu’elle y voit et approfondit encore plus sur la nécessité d’une ville incarnée. « Les maisons, c’est un peu une métaphore de qui on est, les humains. On est un lieu d’habitation pour nos histoires. C’est là qu’on porte nos morts et nos vivants. Donc, pour moi, l’un ne pouvait pas aller sans l’autre, de donner des détails sur quelle rue ça se passe, puis dans quel quartier. Je trouve que ça rendait ça très vivant. »
Pour conclure, sachez que j’ai dévoré Les Maisons en une petite soirée. En art, rien n'est plus compliqué à atteindre que la simplicité. Et pourtant, Les Maisons se lit comme une histoire simple, une histoire banale qui arrive à tant d'entre nous. Le tour de force est ailleurs, il se trouve dans ce qui se cache après l'entrée de la caverne, dans le dédale émotionnel de Tessa. Un lest nécessaire qui insuffle tout son poids à cette histoire simple, mais tellement pas simpliste. Un exploit d’écriture tout en mots et en images. Un roman que tu te dois de lire et que tu voudras faire découvrir à tes proches. Je te le jure sur la tête de Leonard Cohen. (You’ll see…)
Les Maisons
En librairie le 27 octobre 2015 | Éditions Le Cheval d'août