Je dois commencer ce texte par un aveu : je ne connaissais pas vraiment la cuisine de Jonathan Rassi. Comme beaucoup, j’avais un peu suivi son parcours à l’émission Les Chefs en 2012 et en 2014. Je sais aussi que plusieurs chefs qui sont passés par ce programme se sont démarqués, à l’image de Guillaume Cantin, Hakim Chajar, ou encore Marjorie Maltais. Toutefois, comme Jonathan Rassi a fait ses classes avant de diriger les cuisines d’un restaurant – il a travaillé au Fourquet Fourchette tenu par son père, puis Chez Chine, au Il était une fois et au Park, en plus de faire des stages dans des restos étoilés –, je n’avais pas saisi l’occasion d’aller lui rendre visite alors qu’il était chef du Quartier Général. C’est donc avec beaucoup de naïveté que je me suis rendue au restaurant Les 400 Coups pour aller tester sa cuisine.
Avant toute chose, il faut rappeler que dès son ouverture, ce restaurant un brin excentré des grandes artères touristiques du Vieux-Montréal a vu passer derrière ses fourneaux de grands noms de la cuisine québécoise. Patrice Demers, Marc-André Jetté et Guillaume Cantin ont fait de cet établissement un incontournable des foodies d’ici et une destination des foodies d’ailleurs. J’étais par conséquent extrêmement curieuse de savoir pourquoi le choix de Guillaume Cantin, qui voulait une belle relève lors de son départ des 400 Coups, s’était porté sur Jonathan Rassi.
Dans les faits, les deux hommes partagent une même passion pour les produits du terroir québécois et une approche créative de la cuisine. « Ma signature plus personnelle vient du fait que j’adore tout ce qui est végétal et asiatique », confie Jonathan Rassi, qui a totalement revu le menu du restaurant à son image. Et devrait le revoir régulièrement, car il ne veut pas de carte fixe, préférant se fier aux arrivages et à ses humeurs du moment.
Ce qui ne change pas, par contre, c’est l’accueil toujours exceptionnel dont on bénéficie aux 400 Coups. Service souriant, efficace et renseigné; décor de bistro soigné, à la fois urbain et intemporel; carte de vins très intéressante constituée d’importations privées, dans laquelle se greffent des bières et quelques alcools produits au Québec, ainsi qu’une série de cocktails travaillés. Tout pour plaire, en un mot, si la cuisine est à la hauteur du reste. Et c’est ce que j’ai eu la grande chance d’expérimenter.
Pour découvrir la cuisine d’un chef, rien de mieux que de se laisser guider par ce dernier. Jonathan Rassi a donc décidé de m’apporter, pour débuter mon repas, une salade composée de petites tomates et de fraises vertes de M. Legault, d’un espuma de chèvre Tournevent, de pois fourragés macérés dans une vinaigrette à la cameline, de graines de cameline torréfiées et d’huile d’estragon. En bouche, je savoure un mariage de saveurs franches, de fraîcheur et de subtilité, avec un petit côté soyeux apporté par l’espuma. Magnifique.
Suit dans une grande assiette odorante, dont le pourtour constitué de branches de genévrier a été légèrement brûlé pour en faire ressortir les arômes, un délicat pétoncle de Gaspésie cru finement tranché et accompagné par un mélange de babeurre, de vinaigre de fleur de sureau, de baies de cornouiller, de graines de moutarde marinées et de salicorne. Encore une fois, l’approche du chef a été d’une grande délicatesse, respectant la fragilité du pétoncle tout en l’associant à des saveurs, textures, et pour ce plat d’odeurs qui transportent nos sens comme nos papilles.
La dorade suivante, de nouveau apprêtée crue – n’oublions pas que le chef a un penchant pour la cuisine asiatique – a été légèrement salée avant d’être coupée finement et mariée avec un ensemble rappelant une version déconstruite du sushi, mais avec des saveurs d’ici. Parmi les composantes de l’assiette, on retrouve de la rhubarbe fraîche et sous forme de jus, une sorte de craquelin constitué de sarrasin et de riz soufflé sauvage, de la purée de courge butternut, de la bette à carde et des cheveux de mer (une algue de la Côte-Nord). Que dire? On passerait autant de temps à admirer la présentation ciselée de ce plat, qu’à le déguster en prenant le temps de comprendre comment le chef parvient à concevoir une assiette aussi complexe, balancée, où rien n’est à enlever ni à ajouter. De la belle, belle cuisine.
Toutefois, je m’apprête encore à être bluffée quelques minutes plus tard avec le tartare de veau à la carte cette semaine. Le chef me dit en me le servant qu’il s’est inspiré de la forêt pour le concevoir. Il en résulte une assiette sur laquelle la viande est finement coupée, finement assaisonnée et admirablement accompagnée d’une émulsion au colza, de raifort frais, d’un jaune d’œuf cuit à 65 degrés et fumé, de pousses d’épinette marinées, de baume de mélisse, d’oseille des bois et de petits croûtons de pain beurrés et aillés. Si le paradis existe, on y livre sans doute ce tartare, sans conteste l’un des meilleurs que j’ai goûtés au cours de ma vie. Racé, élégant et, une marque de fabrique que je reconnais dans chaque assiette depuis le début du repas, avec un petit côté gourmand (ici avec l’œuf, avant avec les sauces et réductions) qui n’est vraiment pas pour me déplaire. Magnifique!
Pour terminer ce moment de bonheur, le chef me sert une petite portion de spätzles, ces toutes petites pâtes à la recette d’origine alsacienne, qu’il a cuisinées avec une sauce aux moules de Gaspésie, des oignons verts du printemps et des cipollinis légèrement brûlés, de la peau épaisse de poulet croustillante et des pousses de capucine. Un mariage de saveurs si réussi, qui respecte et magnifie autant les produits d’ici, ne peut pas être boudé au même titre que tout ce que j’ai dégusté au cours de cette visite. Quel immense talent que ce Jonathan Rassi, et quel immense bonheur de le voir s’exprimer pleinement au restaurant Les 400 Coups! Un vrai coup de cœur que je vous recommande sans réserve!
Les 400 Coups
400, rue Notre-Dame E
Montréal, QC, H2Y 1C8
(514) 985-0400