La boîte montréalaise micro_scope et ses producteurs reconnus à l’étranger comme gage de qualité
Michael-Oliver HardingMonsieur Lazhar, Incendies, En terrains connus, Familia, Continental, Congorama… Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en 10 ans, la boîte de production montréalaise micro_scope s’est taillée une place enviable dans le milieu du cinéma indépendant. Luc Déry et Kim McCraw ont marqué la cinématographie québécoise d’œuvres fortes, percutantes, qui laissent peu de gens indifférents – y compris les programmateurs de Cannes, Sundance, Locarno, Venise, Berlin, etc. À tel point qu’on «hype» désormais la sortie de leurs nouveaux projets en insérant une mention bien en vue «from the producers of the Oscar nominated Incendies and Monsieur Lazhar!», par exemple, à la fin de la bande annonce internationale du film Inch’Allah. Une forme de reconnaissance qui les met visiblement encore un peu mal à l’aise.
«Honnêtement, au début, on était un peu sous le choc, confie Luc Déry lorsqu’on rencontre le dynamique duo de producteurs au bar de l’hôtel Hyatt Regency à Toronto, en plein TIFF (Toronto International Film Festival), entre deux meetings avec des distributeurs étrangers. Mais ils [les distributeurs] ont fini par nous convaincre que ça pouvait attirer des gens de plus. Nous, si ça peut attirer plus de gens à nos films, on est contents.»
Made at micro_scope
Ce que ce slogan confirme sans l’ombre d’un doute, c’est que des projets carrément différents les uns des autres – un drame intimiste explorant les relations mère-fille, un thriller politique qui s’apparente à une tragédie grecque, une comédie noire à propos d'êtres solitaires en manque d’amour – peuvent tous porter ce sceau de qualité made at micro_scope.
«Maintenant, lorsqu’on vient ici [à Toronto] à la recherche de coproducteurs ou de distributeurs, c’est clair que les gens savent qui nous sommes», conclut Luc quant à la suggestion que leurs deux nominations en autant d’années aux Oscars auraient eu des répercussions concrètes sur leur travail. «Il y a quelques années, on devait expliquer ce qu’on faisait, on énumérait les titres de nos films et les gens faisaient comme, ‘‘ah, ouais…’’ Maintenant, Incendies et Monsieur Lazhar, qu’on parle à des Espagnols, des Allemands ou des Américains, les gens ont vu ces films-là et les ont aimé.»
Les années se suivent et se ressemblent: Déry et McCraw en compagnie des équipes de Monsieur Lazhar et d'Incendies aux Prix Génie
Fébrilité torontoise
Inch’Allah, le film qu’ils accompagnent cette année au TIFF, est un récit coup de poing de la réalisatrice Anaïs Barbeau-Lavalette, qui donne un visage humain au conflit israélo-palestinien. Cette coproduction avec la France, déjà vendue dans plus de 14 pays et territoires, suit Chloé (Évelyne Brochu), une jeune obstétricienne québécoise pratiquant dans la clinique de fortune d’un camp de réfugiés en Cisjordanie. Elle voit son quotidien rapidement déchiré par la guerre, entre des amitiés tissées serrées avec une soldate israélienne et l’une de ses patientes palestiennes. Rencontrés autour de la première mondiale du film, les producteurs affirment sans gêne avoir été bien fébriles à l’approche du grand jour, qualifiant l’expérience comme étant «l’une des plus stressantes de notre carrière.»
«C’est un film qu’on aime beaucoup, précise Kim d’entrée de jeu. Anaïs a sa signature, elle est proche du documentaire, et c’est sûr qu’au niveau du rythme, de la façon qu’on a raconté l’histoire, c’est un peu différent. C’est un film rentre-dedans.»
«C’était la vraie de vraie première mondiale, renchérit Luc. On ne l’avait montré à personne, et on avait un petit stress additionnel parce que c’était la première fois qu’on pré-vendait un film à des distributeurs étrangers. Tu sais qu’ils sont dans la salle, ils ont pris leur décision sur une bande annonce de deux minutes et tu ne veux pas qu’ils regrettent leur choix! Mais tout le monde est très content. Le buzz est vraiment bon, le film a déjà été vendu dans quelques pays supplémentaires et il y a des grands festivals qui sont intéressés alors on est très soulagés.»
Évelyne Brochu et Yousef Sweid dans Inch'Allah
Cultiver le goût du risque
Le franc-parler des deux producteurs en dit long sur leur façon d'apprêter chacun de leurs projets. En entrevue, le tandem Déry/McCraw est honnête, accessible et vif d’esprit. On imagine que leur curiosité et leur ouverture d’esprit sont grandement mises à profit dans leur travail, eux qui sont partants pour défricher de nouvelles terres s’il le faut, si le projet l’exige.
Comme pour Inch’Allah, une production dotée d’un budget de 5,8 millions qui regorgeait de défis: un deuxième tournage d’affilée au Moyen-Orient, où l’industrie cinématographique n’est pas très développée, un scénario qui impliquait de filmer dans des camps de réfugiés, de faire appel à des figurants recrutés au sein de la population déplacée, d’ériger un énorme mur de séparation (350 mètres de longueur!) qui pourrait ensuite être démonté et transporté ailleurs…
«Il n’y a pas de Michel Trudel là-bas, tranche Kim, en référence au grand manitou des studios de cinéma Mel’s. Le premier tournage [avec Incendies] nous a permis de prendre le pouls de comment ça se passe là-bas. Nous-mêmes, on ne savait pas à quoi s’attendre. On a d’ailleurs retravaillé avec une grande partie de l’équipe d’Incendies sur Inch’Allah. Ils ne sont pas des tonnes, mais les techniciens prennent vite de l’expérience.»
Images tirées de Congorama; Familia; Incendies et Continental, un film sans fusil
Pari de l’audace, pari d’auteurs
Cela étant dit, le plus grand pari de micro_scope, celui qui les distingue d’innombrables producteurs dont la feuille de route est surtout régie par des préoccupations de box-office, c’est celui de mettre de l’avant des jeunes cinéastes n’ayant pas froid aux yeux. Comme Anaïs, mais aussi Stéphane Lafleur, dont les deux longs métrages déroutants ont été produits chez micro_scope, ou encore Emanuel Hoss-Desmarais, qui peaufine actuellement son premier long métrage, Whitewash. Lorsque je souligne qu’ils semblent très fidèles à leurs cinéastes (Philippe Falardeau a réalisé tous ses films avec Luc Déry, Louise Archambault est présentement à l’œuvre sur Gabriel, après avoir réalisé Familia chez micro_scope), Kim précise qu’un facteur tout simple pèse lourd dans la balance : ils veulent partager une certaine complicité avec leurs artisans. «Quand on produit un long métrage, on travaille pendant trois ou quatre ans avec la même personne, alors ça peut paraître fou, mais il faut que la communication soit bonne. Luc et moi, on développe les scénarios, on est très impliqué et près du contenu, donc c’est certain que la personne avec qui on va travailler, il faut qu’elle ait envie de ça aussi, qu’elle soit ouverte à ça.»
Luc rajoute qu’ils souhaitent mettre de l'avant des réalisateurs qui font preuve de «vraies» visions d’auteur. «On recherche des projets originaux… Ce sont des coups de cœur, qui ont une certaine portée, qui abordent des thèmes humains. C’est du cas par cas, mais c’est tout de même une signature.» Cinéastes intrépides en quête de producteurs, prenez bien note.
Avant de disparaître dans la foule TIFFienne d’un pas décidé vers leur prochaine rencontre, une dernière question aux producteurs : des artisans avec lesquels ils rêveraient de collaborer? Ayant éveillé sa fibre fanboy, Luc ne peut contenir son enthousiasme. «Robert Lepage! Je suis un grand fan. C’est un peu un fantasme de projet… J’ose croire que de travailler avec lui, notre rapport, ça pourrait faire quelque chose de bien. Mais il y en a plein d’autres!» Kim, quant à elle, préfère se garder une petite gêne. «C’est tricky, cette question-là!, lance-t-elle avec un sourire complice. Je n’aime mieux pas répondre. Il y en a trop!»
Inch’Allah
En projection au TIFF le 10 septembre
En salles au Québec dès le 28 septembre