Solitaire, la vie d’anticonformiste? Pas pour Josh Dolgin, dit Socalled. Loin d’avoir fait de lui un incompris, ses nombreux chapeaux de régénérateur du patrimoine musical juif, de prédicateur hip-hop, de soldat du jazz et du funk et d’apôtre pop ne lui ont que mieux permis de rejoindre plus de gens. Aussi excentrique soit-il, il est toujours entouré.
C’est qu’outre la musique, la magie, la photo, le dessin et le film, le Montréalais de 34 ans a aussi maîtrisé l’art de se faire des amis. C’est ce qui lui a permis de devenir pianiste pour le clarinettiste jazz David Krakauer et, subséquemment, de se faire découvrir du public européen avant le moindre «bip» sur les radars nord-américains. C’est ce qui a fait de Ghettoblaster, son précédent album, datant de 2007, un buffet de collaborations et d’invités.
C’est ce qui a fait de The Socalled Movie, le documentaire à son sujet sorti l’an dernier, un aussi fascinant portrait: à l’époque où on peut tout aussi bien, moyennant quelques deniers et contacts bien placés, recevoir un featuring de Lil Wayne par email, voilà quelqu’un qui préfère aller passer du temps en tête-à-tête avec un pianiste lounge de 95 ans (Irving Fields) ou une rappeuse retraitée (Roxanne Shanté).
Moteur
Ce que The Socalled Movie a mis en lumière, c’est à quel point ces collaborations sont centrales dans sa musique. Il ne s’agit pas de décorations, mais d’un moteur. Josh l’a à nouveau constaté – pratiquement malgré lui – en concoctant Sleepover, la suite attendue de Ghettoblaster, sortie le 4 mai. «J’ai d’abord souhaité avoir moins de collaborations sur ce disque», m’explique-t-il depuis Berlin, où son projet Abraham Inc. (avec Crackauer et le tromboniste Fred Wesley) se produit ce soir-là.
«Après avoir tourné Ghettoblaster longtemps, j’avais enfin quelque chose qui ressemblait à un vrai groupe (NDLR: il a souvent changé de musiciens par le passé). Je me disais: ‘‘OK, je vais faire un disque simple.’’ J’ai essayé! Mais j’avais le réflexe de lancer des invitations à plein de gens cool… J’ai perdu le contrôle encore une fois!» ricane-t-il.
En tout, plus de 40 contributeurs ont été mandés, parmi lesquels Enrico Macias, DJ Assault, Gonzales, le chanteur calypso Mighty Sparrow, Derrick Carter, les susmentionnés Fields, Shanté et Wesley en plus des adjuvants habituels (Katie Moore, le rappeur C-Rayz Waltz…) et de quelques voix déjà entendues sur Ghettoblaster (Gisèle Webber, SP…).
«En même temps, j’espère que le résultat est moins cacophonique que Ghettoblaster», tempère l’artiste. Pour ça, pas trop de problèmes: Sleepover a de quoi faire fredonner pendant les heures suivant sa rotation, ne serait-ce qu’avec son extrait «Richi» et son refrain contagieux, repris en conclusion de l’album en version instrumentale au piano, puis à la manière house. Josh avoue timidement que la pièce est en l’honneur d’un garçon qui lui a brisé le cœur, même si c’est Katie qui chante.
«C’est sûr que quelques invités ont fait l’objet d’une chasse. Mighty Sparrow, par exemple… C’est le roi du calypso! Mais la majeure partie du temps, c’est une question de vraies relations. Derrick Carter n’est pas là parce que je voulais avoir un producteur house; je le connais depuis 10 ans! Katie Moore est une grande amie. C’est du vrai. Ce n’est pas juste une voix. Je crois qu’on peut entendre l’amour», dit-il, non sans une pointe de moquerie.
Raconte-moi une histoire
Tout de même, c’est à se demander comment des pièces aussi accrocheuses ont pu naître avec autant de chefs dans la cuisine. «Chaque chanson est une histoire différente», signale Josh. «Il n’y a pas de ‘‘d’habitude’’. Malheureusement (rires).»
‘‘UNLVD’’, par exemple, vient d’une mélodie traditionnelle qui cadrait bien avec un beat que j’avais fait et que j’aimais beaucoup. J’ai donné la mélodie à Katie et je lui ai expliqué le concept de la chanson pour qu’elle écrive des paroles. Ensuite, j’ai écrit le refrain. Puis, quand Enrico Macias est venu au studio, je lui ai raconté l’histoire et on a grosso modo écrit ses textes ensemble. Ensuite, C-Rayz Waltz est venu nous voir en studio, à New York; je lui ai raconté l’histoire et il a écrit son vers sur-le-champ», décrit-il, avant d’évoquer des tirades semblables, cette fois ponctuées de nombreuses réécritures, avec The Mighty Sparrow et Roxanne Shanté pour la pièce «Work With What you Got».
Comme d’habitude, ces rencontres occupent une bonne partie des propos de Josh. Ìl frétille en évoquant l’union de DJ Assault (l’homme derrière l’hymne booty «Ass & Titties»), de Gonzales et d’un ensemble de cuivres ukrainiens sur la pièce-titre, ou encore à propos des arrangements de cuivres entièrement signés Fred Wesley (ex-J.B.’s, le groupe d’accompagnement de James Brown) sur «Beautiful».
Et comme d’habitude, il signe un album sur lequel il occupe finalement le siège arrière. Un détail, selon lui. «Quand je fais un disque, tout ce que je cherche, c’est de faire quelque chose que je voudrais écouter moi-même. C’est correct que ce quelque chose ne puisse exister que virtuellement.»
Hit-parade
Après avoir construit son nom sur la juxtaposition d’éléments hip-hop et klezmer, cette dernière facette semble beaucoup plus discrète sur Sleepover. Josh confirme: «D’un album à l’autre, je m’intéresse de moins en moins à ce qu’on pourrait appeler ‘‘la politique de la culture’’. Les références historiques sont là, les échos de différentes cultures aussi, mais mon but premier, c’est de faire des super chansons.»
«Mon projet Abraham Inc., par exemple, repose encore une fois sur des enjeux culturels: les Juifs rencontrant les Afro-Américains. Ça parle de tensions, de fusions. C’est vraiment amusant à explorer, mais pour mon propre projet, l’idée est vraiment d’utiliser toutes ces influences pour en faire de la musique accrocheuse. Just tryin’ to make some hits!» ajoute-t-il, avant de pousser un de ses «haaaaa» caractéristiques.
La mise à contribution de Renaud Letang (Manu Chao, Feist, Gonzales) au mixage rejoint précisément cette idée. «Il est pas mal slick, ce gars-là. Ma musique renferme tellement de voix, tellement d’instruments… Je suis un maximaliste! Je voulais voir ce que ça ferait de travailler avec quelqu’un qui fait les choses proprement.»
Nouvelles cordes
Avec un tel goût pour le travail d’équipe, on ne s’étonne pas que Socalled soit récemment passé derrière la console pour devenir réalisateur d’albums. Le chanteur de charme franco-algérien Enrico Macias et l’accordéoniste punk vancouvérois Geoff Berner ont tour à tour fait appel à ses services pour sa facilité à mélanger les genres. «Je n’aurais pas pu choisir deux artistes plus différents si j’avais voulu», ricane Josh, qui espère répéter l’expérience. «Ça m’apprend à faire sortir ce que les musiciens veulent plutôt qu’imposer ma propre vision, tout en amenant mon meilleur à moi.»
Un processus finalement pas si éloigné de la manière dont il fait ses disques à lui. Je le compare à une sorte d’entraîneur et il approuve. «Ça n’est pas exactement un rôle que je joue, mais il faut que le travail se fasse. Il y a différentes façons de le faire. Tu as le coach méchant, qui gueule après ses joueurs et qui leur fait gagner la partie. Puis, tu as le coach qui fait sourire les enfants, les pousse à s’amuser et qui leur fait quand même gagner la partie. J’imagine que je suis le coach gentil.»
Les marionnettes qui figurent sur la pochette de Sleepover représentent une autre corde récemment ajoutée à l’arc de Socalled. «C’est une autre activité futile, quelque chose que je ne fais pour aucune bonne raison, ce qui est pas mal la façon dont j’ai commencé la musique et toutes les autres choses que je fais. Un hobby! commente-t-il. Elles figurent sur la pochette parce que, hey, tant qu’à avoir ces petits bonshommes-là, autant les mettre au travail!»
Socalled
12 mai | Cabaret du Mile-End
5240, Parc
www.socalledmusic.com