«Heaven Knows What»: une ex-héroïnomane new-yorkaise tient l’affiche du film indie de l’été
Louis-Philippe PilonDu 15 au 20 juin, le Centre Phi vous offre une petite descente aux enfers en présentant l’excellent film Heaven Knows What des frères Josh et Bennie Safdie. Primé à la Mostra de Venise, au TIFF et dans plusieurs autres festivals, Heaven Knows What est l’histoire vécue d’Arielle Holmes — scénariste et vedette du film — et de sa dépendance à l’héroïne, dans les rues de New York. Film de quête, un peu comme Lord of the Rings, sauf qu'ici c'est sa propre personne que l'héroïne (pun extremely intended) veut détruire. Le désir d'annihilation est le même, mais il est entièrement tourné vers l'intérieur. À chaque intersection, face à chaque embuche, nos «héros» font le mauvais choix. Une œuvre qui nous malmène, qui fait mal, mais qui s’assure que nos yeux restent rivés sur l’écran. Je me suis entretenu avec les réalisateurs du film, les frères Safdie, pour en apprendre un peu plus sur le «indie darling» de l’année.
Je ressens une certaine pointe d’irritation dans la voix de Josh Safdie lorsque je lui demande de me raconter comment il a rencontré Arielle Holmes. Selon lui, l’histoire a été ressassée ad infinitum: il l’a approchée dans le métro, subjugué par le magnétisme qu’elle dégageait, et ils sont rapidement devenus amis. Son impression initiale s’est avérée juste lorsqu’il découvre, en discutant avec sa nouvelle copine, l’ampleur de son talent et la richesse de son vécu: «J’ai fait l’expérience d’une amitié avec elle où nous sommes vite devenus très proches. J’ai aussi rencontré plusieurs de ses amis et ressenti l’énergie particulière qu’ils dégageaient. Suite à la tentative de suicide d’Arielle, je lui ai demandé de mettre sur papier les histoires de sa vie et de commencer la rédaction de son livre. Notre intention, dès le départ, étant de l’adapter au grand écran.»
Courtoisie
Le fait de tourner un film sur l’héroïne avec une ex-toxico comporte quelques dilemmes éthiques: est-ce que Holmes ne risquait pas la rechute en s’immergeant avec autant de réalisme dans sa vie passée? Josh m’explique que cette vie ne faisait pas encore totalement partie du passé d’Arielle. «Il est important de savoir qu’elle ne s’était pas encore extirpée de ce monde, lors du tournage. Ce n’est qu’une fois le film complété qu’elle est allée suivre une cure de désintox. Elle était sur la méthadone pendant le tournage, afin de ne pas succomber à la tentation de la seringue. Elle était 100% investie dans le désir de raconter son histoire et tous les participants étaient aussi excités de faire partie de la production. Je ne pense donc pas qu’il y avait de questions éthiques, car tout le monde voulait être là et jouer dans le film.»
Un des petits détails qui rend le film si enlevant est la façon dont la caméra des Safdie s’attarde sans cesse sur les yeux d’Arielle. Un regard paresseux, noyé par les opiacés, mais qui exprime plus qu’une longue tirade. «Encore une fois, c’est quelque chose que j’ai remarqué dès ma première rencontre avec elle. Ses yeux étaient si expressifs et elle avait manifestement cette “star quality” qui n’est qu’accentuée par la caméra.»
Tourné au mois de mars 2014, dans un New York rendu ultra gris par les longs mois d’hiver, le film utilise les passants comme acteurs de soutien de manière magistrale. «Parfois notre caméra était très loin de l’action et parfois très près, mais les passants réagissaient toujours de la même façon. Les New-Yorkais traitent les gens de la rue comme s’ils n’existaient pas, ils continuent à marcher et ne remarquent rien. Nous voulions que la ville existe librement dans le film, nous permettions donc aux passants d’entrer dans le cadre de l’image.»
Pour conclure, les frères Safdie utilisent la musique d’une manière particulièrement habile, afin de ponctuer le récit. On y retrouve un mélange de pièces aériennes, composées par Isao Tomita, et de beats de Hardstyle, lorsqu’il est temps pour le film de nous en mettre plein la gueule. Le hardstyle est un style que je croyais originaire d'Europe de l'Est, mais que les Safdie bros m'ont affirmé provenir d'Australie. (Je vous inclus tout de même un clip de jumpstyle polonais, question de détendre l’atmosphère.) «J’ai découvert le hardstyle à travers Arielle. Il est important de savoir que cette musique provient directement du monde d’Arielle et des personnages du film. La musique de Tomita, elle, est très romantique, mais c’est un romantisme vu à travers le prisme déformant d’une relation amoureuse hors-norme.»
Je vous recommande fortement de libérer une de vos soirées et de vous rendre au Centre Phi pour faire l’expérience de ce qu’est la vie dans les rues de New York. Une vie sans compromis, mais qui comporte tout de même de menues parcelles de lumière.
Heaven Knows What
Du 15 au 20 juin au Centre Phi