Seule sur la scène de l’Espace GO, Monia Chokri ébahit les spectateurs avec une performance à identités multiples. La metteure en scène Marie Brassard tente d’abattre les frontières des tabous et des non-dits avec une suite d’idées brillantes. Mais à force d’ajouter des métaphores et des détours, elle réduit son œuvre à l’un des «tabous» du monde théâtral : la masturbation conceptuelle.
Attriquée comme une poupée gonflable (lèvres grossies par le maquillage, cheveux presque platine, robe vaporeuse), Chokri raconte aux spectateurs une anti-version du Petit Chaperon rouge, où le Grand-méchant-loup-mangeur-de-grand-mère convainc la fillette de se dénuder et de lui faire un câlin. La grosse bête poilue sera plus tard évoquée lors d’un délire orgasmique particulièrement sonore, faisant écho aux cris du monstre de notre enfance, mais le conte de Perrault s’efface peu à peu en filigrane.
Il laisse la place à une série de tableaux évoquant les désirs, tant sexuels que relationnels et sociaux. Une jeune adolescente attisant l’attrait d’un inconnu dans des lieux publics, sans jamais lui permettre de la toucher. Une réflexion sur la façon idéale de mettre fin à un couple. La rencontre d’une bonne samaritaine et d’un sadomasochiste.
Caroline Laberge
On est obnubilé par l’actrice qui, grâce à une multitude de nuances physiques et vocales, arrive à camper une petite fille, une femme forte, une adolescente à moitié délurée et des hommes de tout acabit. Bien qu’elle soit accompagnée d’un dispositif lui permettant de moduler sa voix (on est convaincu qu’elle aurait très bien pu vivre sans), tout son être suggérait les différents personnages.
On adhère aux liens entre les tableaux, spécialement quand on écoute une fillette hésiter quant à la réponse à donner à son enseignante, convaincue que l’évidence cache quelque chose. Que derrière le prévisible, l’attendu et le commun, se trame un univers de possibles, parfois des envies, des réalités dissonantes ou des fantasmes.
On salue les éclairages texturés de Sonoyo Nishikawa et sa capacité à révéler à la fois des ambiances et des caractéristiques de personnages. On apprécie le clin d’œil inversé au peep-show, alors que Chokri revêt de plus en plus vêtements, au fur et à mesure que le spectacle avance.
Malheureusement, cet amas de tissus illustre l’effet de la pièce en elle-même : trop de couches, trop d’idées, trop de concepts. Les propos sur les traces que chaque rencontre laisse sur nous se noient dans les jeux conceptuels. Non seulement le texte de la pièce est d’une pauvreté évidente – on n’apprend rien, on ne voit rien autrement et la poésie des mots ne nous frappe pratiquement jamais –, mais on finit par être agacé par les jeux de voix, les malaises provoqués par ses modulations glauques, les trop longs détours derrière les rideaux de miroirs, la gestuelle volontairement déphasée, le caractère décalé des multiples personnages et l’incroyable manque de rythme de la pièce.
Le ravissement de départ s’est donc transformé en désir tout ce qu’il y a de plus assumé et non tabou de quitter le théâtre au plus vite. Dommage.
PEEPSHOW
À l'Espace GO jusqu'au 10 octobre 2015