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Caligula, ou comment il est impossible d’accepter le possible?
Crédit: Yves Renaud

NIGHTLIFE.CA a eu le grand plaisir d’assister à la première médiatique de la pièce Caligula du philosophe, dramaturge, écrivain et journaliste Albert Camus (1913-1960), mise en scène par René Richard Cyr et présentée au Théâtre du Nouveau Monde.
 
La pièce, dont la scénographie est signée Pierre-Étienne Locas et la musique Michel Smith, a été écrite par Camus en 1938. Toutefois, l’écrivain la remaniera à plusieurs reprises au gré de l’actualité, jusqu’en 1958, deux ans avant de mourir. Caligula raconte la fin du règne d’un empereur romain tyrannique et est inspirée du récit de l’historien Suétone qui retrace la vie et les années de règne de Caius César, surnommé Caligula.
 
D’une rare intensité
Dès que le rideau se lève, le spectateur est tenu sur un fil à haute tension pendant 1h45, sans entracte. Le dispositif scénique faisant découvrir et imaginer deux  mondes superposés: au-dessus, tout en blanc, l’univers des dieux, tel un Olympe et en dessous, tout en gris métallique, celui visité par les mortels. La première scène où apparaissent Caligula (brillantissime Benoît McGinnis) et Drusilla (magnifique Rébecca Vachon), tous de blancs vêtus, irradiés de lumière, s’enlaçant amoureusement, est un moment apocalyptique! Celle-ci soudainement lui meurt dans les bras, crachant et buvant le sang à la fois, faisant figure prophétique d’une suite des plus macabres.

Crédit: Yves Renaud

Dans les sous-terrains lugubres et froids, les Sénateurs de l’empereur, statuaires, ayant assisté à cette épreuve, s’inquiètent, car depuis trois jours, Caligula s’est volatilisé. Les jours passent. «Toujours RIEN ! RIEN ! RIEN !» répliquent-ils, alarmés et apeurés. Où est Caligula?
 
À son retour, l’homme est transformé; comme devenu fou, errant en lui-même. «Désemparé». Il réclame la lune (!) et tient des paroles insensées. La mort soudaine de sa maîtresse bien-aimée et son ressenti lui font réaliser que le monde, tel qu’il est, n’est pas supportable, car toute douleur finit par s’estomper, évincée par la banalité du quotidien. «Les hommes meurent et ne sont pas heureux.» déclame-t-il, le regard hagard et lointain. Pour Caligula, que nous puissions vivre en acceptant l’arbitraire de la vie et de ses deuils, est révoltant et inadmissible. Il ne peut concevoir que nous tolérions l’intolérable. Caligula décide alors qu’il fera tout ce qui est en son pouvoir pour dénoncer la médiocrité des vies ordinaires et fera de la perversion, de la violence et de la cruauté meurtrière ses armes de libération.

Crédit: Yves Renaud

Reprenant les mots du metteur en scène: «S’engage alors le théâtre de la vie, ce jeu inhumain où l’absurde, l’espoir et la mort échangent leurs répliques.»
 
Des jeux d’acteurs de grande qualité
Benoît McGinnis en Caligula nous éblouit, nous hypnotise, nous séduit et nous envoûte, de par son jeu despotique et inhumainement  et si humain à la fois. «Je tends les bras vers l’impossible et c’est moi que je rencontre», finit-il par avouer dans un cri ultime du cœur. Sa logique et sa lucidité nous épouvantent, nous pétrifient : «Je suis pur dans le mal». «J’ai mal à mon corps et non à mon âme». «Qui oserait me condamner dans ce monde où personne n’est innocent ?», nous lance-t-il en plein visage, accablé et révolté.
 
«Comment ne pas le comprendre ?», nous demande Scipion (Benoît Drouin-Germain), si tendre, si juvénile et qui nous émeut tragiquement en personnifiant cet être aimant: «Quelque soit le dénouement de tout cela, sache que je t’ai aimé», livre-t-il à Caligula.

Crédit: Yves Renaud

 
Éric Bruneau en Hélicon, l’esclave affranchi, l’alter ego de Caligula , dénonce par son jeu louvoyant, les inclinations et lâchetés des Sénateurs.
 
Étienne Pilon en Cherea nous fascine et nous ébranle par la logique de son discours défendant les intentions «pures» de sa hiérarchie,  porte-parole de cette caste.
 
Macha Limonchik en Caesonia, amoureuse indéfectible et partenaire tyrannique de l’empereur, endosse la quête de Caligula, avec passion, ferveur et espoir… en vain.

Crédit: Yves Renaud

Rébecca Vachon en Drusilla, sœur amante nous apparaît du domaine des dieux, à des moments de la pièce, REGARDS  tantôt froids, tantôt lascifs, tantôt inquiétés, jetés de par la hauteur divine sur les mondes des simples mortels.
 
Les Sénateurs, aussi vils que peureux, pantins dégingandés, volés, humiliés et violés se désarticulent  au fur et à mesure et sont immolés par leur persécuteur inassouvi : haute voltige et impressionnante performance d’acteurs.

Crédit: Yves Renaud

 
Cette production de chair et de sang jouée magistralement s’inscrit parmi les plus vibrantes, les plus dérangeantes et les plus déstabilisantes  présentées au TNM en cette saison 2016-2017
 
Elle nous questionne et nous concerne tous: pourquoi Caligula demande la mort pour vivre enfin, lui qui toutefois, nous révèle qu’il avait déjà possédé la lune ? Absurdité de la vie…
 
À voir absolument.

Caligula
Du 14 mars au 8 avril 2017
Théâtre du Nouveau Monde

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