C’était le 25 novembre dernier, dans une Casa del Popolo bondée. À moins d’être arrivé tôt ou de s’être faufilé à l’avant, tout ce qu’on pouvait apercevoir, c’était la casquette de Taylor Kirk. De toute évidence, la Casa était beaucoup trop petite pour celui qui lançait, l’été dernier, un album dans lequel on est encore lovés.
Ce soir-là, en ressortant, tout le monde se posait la même question: où était l’orgue? «C’est vrai, on ne l’avait pas apporté. Je n’ai jamais été intéressé à recréer l’album sur scène. Pour moi, ce sont deux entités distinctes… Pendant un long moment, je jouais seul avec un échantillonneur, alors il reste des ajustements à faire. Mais l’orgue est assez central, c’est un instrument-clef, n’est-ce pas? On va essayer de mieux roder les choses cette fois.»
Avant que le label torontois Arts & Craft ne l’invite à joindre ses rangs, Taylor Kirk avait déjà deux albums à son actif, «des enregistrements maison faits avec les moyens du bord. Même si l’approche est semblable, ils sont différents de Timber Timbre (titre du troisième gravé) en termes de production, de son et d’instrumentation. Je serai jamais le genre d’artisan qui polit son art. Je préfère faire les choses différemment d’une fois à l’autre; mes albums ne sont pas des extensions les uns des autres. Cedar Shakes (2006) et Medicinals (2007) sont plus acoustiques, en filiation avec la tradition folk.»
Valse avec la faucheuse, folk-blues raffiné, hanté et hululé… De nombreux critiques ont essayé de trouver la bonne façon de décrire la musique de Timber Timbre, mais c’est peut-être l’artiste lui-même qui a mis le doigt dessus: «rockabilly blues gothic» peut-on lire sur son MySpace. «Ma maison de disques n’apprécie pas trop que je me décrive comme ‘‘rockabilly’’», confie-t-il, un sourire dans la voix.
Ça fait du bien de l’entendre sourire, puisque Taylor Kirk est quelqu’un de très discret qu’il faut d’abord amadouer. «Je suis un genre d’ermite. Je sors peu et je ne suis pas très sociable. Ça me rend très heureux de pouvoir communiquer à travers la musique, d’arriver ainsi à interagir avec les gens d’une façon que ma personnalité n’autorise pas en temps normal.»
Taylor Kirk a une manière bien personnelle de se positionner dans la tradition blues: «Elle ne m’avait jamais vraiment intéressée, surtout pas ses dérivés blues-rock. Mon intérêt est polarisé par la vieille tradition, Lightnin’ Hopkins par exemple. J’ai donc remonté mes racines rock jusqu’au blues, j’imagine que c’est assez commun pour un musicien, et j’en viens à la conclusion que c’est peut-être un des genres les plus purs.»
Fleurs du mal
Ce que communique monsieur Timber sur son album n’a rien de très jojo. Délicat contexte de création sur lequel il se fait peu loquace: «C’est difficile pour moi d’en parler… J’étais au chevet d’une femme qui n’allait vraiment pas bien, qui combattait quelque chose de puissant… Les thèmes abordés deviennent plus évident quand on écoute les paroles, particulièrement si l’auditeur compose avec la maladie.»
En 2009, la formation américaine The Antlers a aussi fabriqué une perle d’album à partir d’un contexte semblable. «Je les connais, on a joué dans les mêmes festivals!» Dans leur cas, le résultat est poignant; «Sylvia» est une pièce bouleversante dont on n’est pas encore tout à fait remis. Timber Timbre a plutôt généré un album enveloppant et apaisant, qui semble contenir à la fois sa douleuret son baume. «Ça me fait aussi cet effet, confesse-t-il. Faire de l’art n’est pas forcément quelque chose d’agréable. Certaines oeuvres sont nécessaires. Ce n’est pas garant du résultat, mais quand ça fonctionne, il n’y a pas de meilleur remède. Les gens me demandent parfois pourquoi l’album est aussi sombre. Pourtant, moi, je ne le ressens pas comme ça», révèle l’ancien livreur d’ampoules. «C’était dans une période assez creuse de ma vie», précise-t-il.
La voix de Taylor Kirk et son interprétation, sans être affligées, condensent beaucoup d’émotions. Au début de «Demon Host», qui ouvre l’album, on croit entendre un hibou hululer, mais c’est lui qui chantonne. Il n’a pourtant pas toujours chanté ainsi. «J’ai mis du temps à trouver comment je voulais le faire, dans quoi j’étais à l’aise. Je suis quelqu’un de très timide et pudique. En vérité, ma façon de chanter est un déguisement.» Cette petite confidence nous ramène en tête un autre chanteur timide qui emprunte à la tradition soul-blues, un Blanc qui a, lui aussi, presque une voix noire: Ray Lamontagne. «Ah oui, quelqu’un d’autre m’a fait la remarque. La scène à laquelle je semble appartenir est blanche et constituée de gens qui me ressemblent. J’ai eu envie de transcender ça à un moment – si jamais la chose est possible.»
L’espoir, la peur de la mort, l’étau de la maladie: les sujets abordés dans ses chansons sont universels. A-t-il trouvé des réponses en chemin? «Je ne sais pas, c’est difficile d’en parler concrètement et je ne me considère pas comme un grand sage.» Peut-être n’y a-t-il pas de réponses…? «C’est possible. Tout ce que j’ai pu récolter, ce sont de nouvelles questions.»
New Kid On The Block!
On le croyait enraciné à Toronto, mais que non! Depuis décembre, peu après le show à la Casa en fait, Taylor Kirk vit sur le… Plateau Mont-Royal! «Mon joueur de lap steel, Simon Trottier, vit ici et m’a donné le goût de m’y installer. Je sais pas exactement pour combien de temps, mais je trouve que c’est la plus belle ville canadienne.» Souhaite-t-il se lier à la vibrante communauté de musiciens montréalais? «Simon a un projet instrumental qui m’intéresse, Ferriswheel, avec Mathieu Charbonneau (Torngat, The Luyas)…»
On se prend soudain à rêvasser d’un duo entre Taylor Kirk et Katie Moore. «Ah oui, tu crois que ça donnerait quelque chose de bien? Je ne l’ai jamais rencontrée, mais j’ai vu qu’elle avait aussi enregistré son album au Treatment Room, sur Saint-Laurent, où j’enregistre présentement avec Ghost Bees…» Bienvenue en ville, Taylor Kirk!
Timber Timbre
29 avril
La Tulipe | 4530, Papineau
avec The Luyas
timbertimbre.com