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Li’l Andy: crise de foi

Il peut avoir l’air de fanfaronner, comme ça, à chanter «Beggin’ and Achin’ for Eggs and Bacon», mais Li’l Andy est un barde country tout ce qu’il y a de plus sérieux.

«À 18 ans, j’ai écrit une chanson qui s’appelait ‘‘VideoPoker Blues’’. J’habitais à côté d’une taverne et chaque jour, à 16h, je voyais le même vieil homme qui jouait au video strip-poker. Ma chanson dépeignait cet homme, tombant amoureux de la femme qui ôte ses vêtements numériques», raconte le natif de Cantley, en banlieue de Gatineau. Il composait déjà à l’âge de 11 ans. «Cette chanson était tellement meilleure, amusante – à jouer autant qu’à écrire –, que les 400-500 autres que j’avais faites avant! Je n’ai plus été capable de faire autre chose.»

Aujourd’hui, Andrew McLelland coanime l’émission Country Classics Hours, sur les ondes de CKUT, mais surtout, il sillonne chaque jour la ville en quête d’histoires et de mélodies pour illustrer sa vision à la fois très classique et moderne de la tradition country. «Je me chantonne à moi-même des trucs qui me restent en tête. Avant, les gens pensaient que j’étais fou, mais maintenant, ils pensent juste que je parle sur un cellulaire à mains libres», rigole le gaillard (qui n’a rien de petit, du haut de ses six pieds quelques), aux prises ce jour-là avec un vilain rhume.

On jase dans un parc, coin Saint-Laurent et Rachel, à deux pas de l’église Saint-Jean-Baptiste, où McLelland a enregistré son nouvel album, All Who Thirst Come to the Waters. Avec Karaoke Cowboy, son groupe d’accompagnement, il avait exploré le thème de l’appartenance sur Home in Landfill Acres, son précédent album datant de 2006. La palette musicale était large, touchant différentes branches du country. Ce troisième opus, en comparaison, porte un voile sombre, ténébreux. «Je ne pense pas avoir écrit une chanson qui ne soit pas en mode mineur en un an et demi! Mais il y a un certain sérieux que le gospel réclame…»

Salut les vrais
Car oui, All Who Thirst traite de religion sur ton… religieux. Pas de façon décorative, comme il est de bon ton de le faire depuis qu’Arcade Fire s’est mis à jouer dans des églises. Et il ne s’agit pas de gospel «à la Sister Act, chanté par un chœur en robes blanches», comme le décrit Andy, qui dit avoir plutôt puisé son inspiration dans la musique de quatuors vocaux des années 30 et 40, comme les Staple Singers. «Il y avait un côté très dur dans cette musique qui, hélas, s’est depuis transformée en une sorte de célébration constante.»

Country et religion ont, par ailleurs, de tout temps été intimement liés. «Cette tradition est dans mes os. Et quand tu trempes là-dedans, tu réalises vite que la religion chrétienne a joué la plus grande partie de la vie de ceux qui l’ont créée et aimée. C’est ridicule de vouloir célébrer quelque chose en essayant d’en extraire la partie qui nous rend inconfortables.»

Pour McLelland, il y a bel et bien inconfort avec la chose spirituelle dans le monde occidental moderne, en particulier chez sa génération. «Je ne pense pas qu’il faille appartenir à un camp ou à l’autre. Je ne veux pas faire de prosélytisme et brandir la Bible, mais je ne veux pas non plus faire l’apologie du raisonnement idiot qui amène à se vanter qu’on n’a pas besoin de religion», note Andy, dont les parents sont tous deux fortement impliqués dans leur église protestante locale.

Sa paroisse d’origine, souligne-t-il, est trop dépeuplée pour que la religion ait vraiment guidé son éducation, mais cet environnement a fait en sorte que la religion est quelque chose qui «ne l’effraie pas».

«Je lisais récemment un condensé sur la vie des saints chrétiens. C’est la littérature la plus gory: les martyrs se faisaient arracher des membres et empaler sur des sabres pour leur foi! Pour nous autres qui n’avons aujourd’hui plus aucune fibre spirituelle, ces histoires semblent absurdes, voire fausses. Je pense que c’est pour ça qu’on est si effrayés par ces gens ailleurs dans le monde qui osent encore mourir pour leurs croyances. Il y a un si grand fossé entre notre état d’esprit et le leur. C’est à peine si on est de la même race. Nous qui sommes si excessivement rationnels et eux qui sont prêts à mourir pour quelque chose dont on ne peut même pas vérifier l’existence!»

Du monde à la messe
Alors que même la musique soi-disant religieuse s’est aseptisée en voulant devenir contemporaine, McLelland a voulu faire d’All Who Thirst Come to the Waters un «compagnon pour aider à penser à Dieu et à la religion, une musique dans laquelle on puisse s’envelopper et qui puisse servir d’environnement dévotionnel.»

Le choix d’enregistrer à l’église Saint-Jean-Baptiste s’est imposé de lui-même. «Quand je venais d’emménager à Montréal, je dormais souvent chez mon frère, qui habite juste à côté. Je trouvais qu’un grand calme se dégageait de cet endroit», évoque Andy, qui aime explorer les églises et les hôpitaux («des sanctuaires en milieu urbain») lors de ses ballades inspiratrices.

«Je voulais aussi le faire dans un endroit où le band se sentirait capable de jouer les chansons. Ce n’est pas facile d’amener une poignée d’athées, d’agnostiques et un calviniste (notre bassiste) à un niveau spirituel commun». Le studio Treatment Room (où ont enregistré Plants and Animals, SoCalled et tant d’autres) a pratiquement été déménagé dans le bâtiment de la rue Rachel pour l’occasion.

De là, Li’l Andy s’est mis en chasse du son de pedal steel parfait. «Il m’a toujours manqué l’album de pedal steel idéal où je sentirais ce son angélique, luisant. Le seul album où j’ai trouvé ça, c’est le dernier Lhasa, et c’est Joe Grass, notre joueur de pedal steel à nous, qui joue dessus. Je savais que dans l’église, le pedal steel donnerait l’impression de déployer ses ailes, de planer au-dessus et autour du band. Joe en joue comme d’un instrument moyen-oriental.»

All Who Thirst Come to the Waters risque de tomber essentiellement dans des oreilles athées et déterminées à le rester, mais Li’l Andy invite ceux qui n’ont jamais prié à lui jeter la première pierre. «Je pense que la prière et l’adoration sont des choses qui sont très incrustées dans l’être humain. On a le désir intrinsèque de faire ces deux choses. Ceux qui refusent la pratique religieuse trouvent quelque chose d’autre à adorer. Pour bien des gens, la musique est devenue la seule vie spirituelle», témoigne celui qui, à la question directe à savoir s’il est ou non croyant, ne pourra répondre que: «j’essaie».

«Qu’il s’agisse d’un hymne religieux, de l’appel à la prière musulman ou d’un kid qui chante du punk-rock dans le sous-sol de ses parents, chaque chanson est une prière.»

Li’l Andy
12 mai
Sala Rossa | 4848, Saint-Laurent
avec Katie Moore
www.lilandy.com

 

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