On a beaucoup parlé de la visite de l’Islandais Jónsi, le 2 mai, mais le lendemain, de la visite plus rare, plus importante encore passait nous voir à l’Astral: son compatriote Jóhann Jóhannsson, compositeur à mi-chemin entre le post-rock et le néo-classique, dont la musique possède une légèreté et une grâce polaire semblable, mais une richesse supérieure. Sans doute que si Brian Eno et Spiritualized composaient des symphonies ensemble, on aurait droit à quelque chose de similaire. En dehors de cela, la musique de Jóhannsson n’a que peu d’équivalents.
Avec seulement cinq musiciens à ses côtés – ses albums peuvent en compter jusqu’à soixante – on pouvait craindre une facture un peu nue, un impact diminué. On aura finalement tôt fait d’oublier le décalage. La musique de Jóhannsson reste, au fond, toute simple, plutôt intime. La formule choisie – un quatuor à cordes et un manipulateur de machines, avec le maestro alternant entre console et piano à queue – était suffisante pour faire honneur à son univers. En arrière-plan, des projections complétaient sobrement l’atmosphère, dans une salle sur mesure pour l’événement.
Tout au plus y a-t-il eu moins de ces crescendos vibrants auxquels il a souvent recours sur disque – quelques-uns au début, mais les sélections plus dépouillées ont pris le dessus par après. Discographie vaste et dispersée oblige, difficile de dire où il s’est attardé avec exactitude, mais il y avait assortiment varié de grands thèmes majestueux, de passages doux et/ou lyriques et d’ambiances plus aériennes, plaquées de rythmes et de boucles programmés. Pas un mot, pas un regard vers l’assistance…
En dernier tiers, les gros canons: deux extraits de l’inoubliable IBM 1401, A User’s Manual (un hommage paru en 2006 au premier ordinateur arrivé en Islande), dont le clou, Part 1/Processing Unit, avec son échantillonnage surréel (apparemment un son produit par l’antique modèle en question). Pour l’occasion, Jóhannsson et son «coboutonneur» parvenaient à tirer de leur arsenal le même genre de grondements numériques que sur album, sortes d’amplifications démesurées de la résonnance des cordes. Le principe rappelle ces montées de tension dont les groupes post-rock sont friands, mais l’impact est plus grand, puisque la palette est plus inusitée.
Une heure et quart dans un univers poétique honorant aussi bien Wendy Carlos, Boards of Canada, godspeed et Bach que les rêves, la nature, les grandes idées philosophiques et la technologie. Une heure et quart devant un paysage ressemblant au passé, au présent et à l’avenir. Une heure et quart hors du temps.