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MUTEK: morceaux choisis

Bien qu’ayant dû limiter mon expérience «mutekienne» à deux maigres journées, cette année, j’ai tout de même rencontré ma part de découvertes et de bons moments.

Vendredi soir dominé par King Midas Sound, le projet conjoint Britannique Kevin Martin (alias The Bug) et du poète dub d’origine trinidadienne Roger Robinson. Pour l’occasion, le tandem était flanqué d’une chanteuse. Elle et Robinson alternaient agréablement au micro, formant un combo finalement assez proche de ce que The Bug fait en solo, quoique beaucoup plus mélodique. Pas de coupures nettes, pas de ruptures rythmiques inattendues à la manière sound system, mais plutôt des morceaux tempérés, pleinement défilés, ponctués de salves d’écho plus contrôlées. Même dominante dub et même présence oppressante des basses fréquences, cependant, pour un effet physique et rentre-dedans similaire.

Auparavant, le techno-dub minimal de Demdike Stare semblait trop lointain pour vraiment créer un impact. Ikonika, juste après King Midas, maniait adroitement la house, les breaks et le techno. Sauf qu’après un assaut comme celui qu’on venait de subir, un set de DJ ne pouvait sembler que faiblard…

Fin de soirée au Club Soda avec l’Allemand Shed. Une tech-house somme toute classique, mais vivante, et surtout livrée live. Sympathique et efficace.

Ambiances magnétiques
Le concert A/Visions 4 à la SAT, samedi en début de soirée, était le moment du festival que j’attendais entre tous: l’étoile locale de l’ambient métallique Tim Hecker et l’Australien Ben Frost en prestation chacun de leur côté, suivi d’une improvisation en duo. Le programme n’a pas déçu. Dans le noir quasi total, Hecker s’est montré sage durant la première moitié de sa demi-heure au pupitre, jouant de sonorités incongrues délicates et aérées. Improvisation ou avant-goût d’une parution prochaine? En seconde partie, on a retrouvé ses nappes pleines, massives et shoegaze caractéristiques, avec deux interprétations de morceaux tirés de son album paru l’an dernier, An Imaginary Country.

C’est toutefois Ben Frost qui a dominé le menu avec sa proposition ambient variée. Frétillant derrière ses machines, l’Australien a débuté sur un mode soyeux et deep avant de déboucher sur des ambiances presque rock, maculées de distorsion, plus lourdes encore que celles de Hecker dans ses moments les plus métal. Un pépin technique a hélas interrompu son élan, après quoi l’artiste s’en est allé dans une direction plus déconstruite qui a quelque peu rompu l’atmosphère. Bien qu’intéressante, la (brève) pièce en duo avec Tim Hecker n’a pas non plus réussi à rattraper le coup. Cela dit, pendant près d’une heure, Frost a gardé le public dans la paume de sa main et l’a fait circuler à travers des dédales de sonorités riches, de pièces aux couleurs surprenantes.

Vladislav Delay et Carl Michael Von Hausswolff, en début de concert, ont installé l’ambiance de belle façon. Connu pour ses disques aux sonorités clairsemées, éparses, le Finnois Delay a donné un set étonnamment chargé, quoique bien «dubby» et confortable. Il a beau donner dans la déconstruction et les tissages atonaux, on sent toujours une ligne conductrice claire et on n’a jamais l’impression qu’il tourne en rond. Le Suédois Hausswolff, de son côté, a donné l’impression de faire atterrir un astronef, projetant des vagues de hautes fréquences assourdissantes et monocordes qui se sont progressivement changées en graves vagues vrombissantes. Une écoute difficile, mais grisante.

Il s’agissait évidemment là d’un moment pour les fans de musique expérimentale dense, mais qui contenait sa part de mélodie et de douceur. On ne peut non plus passer sous silence l’effet physique que procurent ces variétés piquantes et abrasives d’ambient. On sort d’un tel concert à la fois apaisé, recentré et les sens en éveil. Dommage qu’il faille attendre MUTEK pour assister à des prestations de ce genre de musique.

Pop à la noix
Détour par la place des festivals pour assister au retour attendu de Señor Coconut et son orchestre. Un party bien surréel, sous la faible pluie et devant un auditoire allant des jeunes fans d’électro à leurs parents, en passant par des membres de la diaspora d’Amérique Latine. Mais un party bien pris, rehaussé par une mise en scène visuelle époustouflante. Entouré d’un chanteur, d’une section de cuivres, d’un contrebassiste, d’un percussionniste, d’un joueur de marimba et d’un vibraphoniste (tous européens, mis à part le chanteur), le Señor a livré exactement ce à quoi on s’attendait: des reprises «latinisantes» de classiques pop. Michael Jackson, Trio, Daft Punk, Kraftwek, les Eurythmics… Un concept comique, soit, mais des versions trop étudiées, trop bien rehaussées par la marimba et le vibraphone (les deux stars du concert) pour tomber dans le pastiche. Opération réussie que ce premier concert extérieur de MUTEK, quoique l’affluence ait été un peu décevante en raison de la température.

Effets agréables
À l’autre extrémité du spectre sonore, l’événement Nocturne 4 a fait place, comme à chaque année, aux rythmes house les plus accessibles et festifs, jusqu’aux petites heures, dans l’enceinte du Métropolis. Guillaume Coutu-Dumont y donnait son premier concert en compagnie de son nouveau groupe, The Side Effects. Une prestation plutôt impressionnante, surtout pour une première apparition. Bien en contrôle derrière ses machines, le Montréalais exilé à Berlin a su faire lever la foule assez vite aidé d’un claviériste, d’un guitariste, d’un saxophoniste et d’un MC, qui allaient et venaient efficacement dans ses rythmiques house bien modulées, placées bien à l’avant à travers les apprêts organiques. À aucun moment n’avait-on l’impression d’avoir affaire à un jam. Les pièces défilaient de façon serrée, cadencée, mais gardaient un petit quelque chose de spontané. Des Jardiniers à Rhinôçérôse, la formule de la house live a souvent été essayée, mais Coutu-Dumont prend les devants avec ce nouveau véhicule, en plus d’offrir un rendu de son univers plus engageant que sur disque.

Du flot de DJ qui se sont succédé par après, on retient le set musclé de l’Allemand Henrik Schwartz, de même que l’électro mâtiné de dub et de drum n’bass du duo new-yorkais Konque. Avec ses costumes de robots (ou s’agit-il d’extra-terrestres?), le tandem fait un peu pastiche, mais à 4h30 du matin, ça fait la job.

Les absents
Au terme du festival, on doit déplorer l’absence cette année de représentants de la vague d’électro-rap instrumental qui déferle un peu partout. Pas de Nosaj Thing, pas de Deru, de Shlohmo, de Lorn, de Take, d’Eleven Tigers, de KenLo Craqnques, de Hovatron… Voilà pourtant des artistes expérimentaux qui cadrent avec la mission du festival. Ce mouvement constitue par ailleurs la première vraie secousse de renouveau à survenir en musique électronique depuis des années. Il aurait été chouette que MUTEK la salue.

 

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