Dave Mustaine est certainement l’être le plus désagréable qu’il m’ait été donné d’interviewer (un conseil: n’essayez jamais de faire des blagues sur la politique américaine avec un born again le lendemain d’une réélection de Bush). Cela dit, celui qui fut jadis le premier guitariste soliste de Metallica a quand même accouché d’un des meilleurs albums métal de l’histoire: Rust in Peace, dont on célèbre cette année le vingtième anniversaire. Si le reste de la discographie de Megadeth est largement oubliable, Rust in Peace et ses riffs de premier rang ont remarquablement bien vieilli et n’ont aujourd’hui que peu à envier aux quatre premiers albums de Metallica.
Heureux hasard, c’est justement ce disque que Mustaine et sa bande interprétaient, dans son intégralité, lors de leur passage à la deuxième édition du festival Heavy Mtl, samedi au Parc Jean-Drapeau.
Tête d’affiche de cette première journée du festival, le groupe s’est pointé sur scène un peu avant dix heures sans fanfare ni introduction fancy. Sans dire un mot, non plus. Caché derrière son épaisse tignasse rousse, Mustaine a simplement dégainé le riff saccadé de «Holy Wars…The Punishment Due» et c’était parti. Dans le même ordre que sur l’album, le quatuor a enchaîné les pièces, sans trop d’interventions parlées entre les pièces, sans solo prolongé, sans intermède superflu pour faire taper des mains ni faire chanter le public… rien. Et c’était parfait ainsi. Il est de ces disques, de ces pièces qui méritent d’être transposées live sans glaçage ni décorations aucunes. Rust in Peace est simplement une œuvre comme ça.
À la note près
Le batteur Shawn Drover et le guitariste Chris Broderick ont rendu à la note près les pistes originales de Nick Menza et de Marty Friedmann (leurs prédécesseurs qui jouaient sur la version studio). Il y avait aussi de quoi se réjouir du retour tout récent du bassiste original Dave Ellefson: sa contribution est cruciale, sur Rust in Peace. Mais les points centraux de l’album demeurent les riffs et les solos frénétiques, complexes et inimitables, de Mustaine. Lui aussi s’est exécuté sans faille, mis à part sur le plan vocal. Âge, complexité des pièces ou les effets d’une sono de concert extérieure? Peu importe. Le chant grognard et nasillard du monsieur n’est pas précisément ce qui compte le plus dans la musique du groupe.
«Hangar 18», «Take No Prisoners», «Tornado of Souls», «Polaris»… Elles étaient toutes là, croustillantes et puissantes comme au premier jour. Par après, le groupe a enfilé quelques morceaux plus récents, quelconques, dont le fameux «À tout le monde» et son refrain en français (que toute une génération de fans semble adorer, pour une raison obscure). Heureusement qu’il restait assez de temps, ensuite, pour «Symphony of Desruction» (extraite de Countdown to Extinction, 1992), ainsi que pour la plus ordinaire – mais culte – «Peace Sells» (tirée Peace Sells… But Who’s Buying, 1986).
Quelques heures auparavant, Slayer a lui aussi offert une relecture du meilleur album de sa discographie, Reign in Blood (1986), quoique pas dans l’ordre original du disque. Son contenu était en effet entrecoupé de détours vers d’autres pans de son répertoire: «Seasons in the Abyss», «Dead Skin Mask»… Une autre belle cérémonie sans flafla. Réuni dans sa formation originale, le groupe californien s’est montré en forme, à peine atteint par le passage du temps. Bien qu’il ne se soit pas adressé beaucoup à la foule lui non plus, le chanteur et bassiste Tom Araya fait un leader un peu plus chaleureux que Dave Mustaine (ce qui n’est pas très difficile, admettons-le). La prestation a été ponctuée de pièces marquantes, comme «Necrophobic» et «Criminally Insane», mais le son Slayer en est un qui se vit différemment de celui de Megadeth: il s’agit plus d’un assaut qu’on aime subir que de compositions qu’on aime retrouver. On aime se buter au mur de guitares et aux solos invraisemblables de Jeff Haneman et de Kerry King, aux mitraillages du batteur Dave Lombardo… Mais on ne fredonne pas de refrains ni de riffs particuliers.
Pas d’égalité chez les monstres sacrés
Ces deux prestations étaient sans contredit les deux points forts de la première journée de Heavy Mtl, qui s’est déroulée sous le signe de la nostalgie. Juste avant Megadeth, un Alice Cooper bien en forme (malgré ses 62 ans!) est venu dérouler quelques classiques avec tout le cachet théâtral qu’on lui connaît. Je dois cependant admettre avoir toujours été insensible à ses mises en scène théâtrales et à son appétit glam. Le personnage est sympathique, loufoque, sans plus. Ne me demandez pas non plus d’apprécier les cris haut perchés de Rob Halford, chanteur de Judas Priest en vol solo… Ses chansons renferment quelques solides harmonies de guitares, mais ce son lustré et poli a tout de dépassé. Mastodon a souffert de problèmes de sono, mais son métal mathématique ultracomplexe demeure intéressant à recevoir… En plein jour et sans projections, par contre, ça passe moins bien.
Toujours dans la veine «échos du passé», j’avais bien hâte de voir Testament, un autre monument trash des années 80, mais le groupe s’est entêté à jouer des morceaux récents, mis à part la plus ancienne «Trial by Fire» (tirée de The New Order, 1988). Pas de «Souls of Black», pas de «Practice What You Preach»… Clairement, ceux-là n’avaient pas reçu le mémo.