Aller au contenu
Entrevue avec Rico The Zombie: les 15 minutes de gloire du performeur montréalais qui a les os sur la peau
Click here for English version

Soyons honnêtes: on ne parlerait pas autant de l’ultra-tatoué performeur montréalais Rick Genest (ou Rico The Zombie), 25 ans, s’il n’était pas apparu aux côtés de la plus baroque chanteuse pop de notre temps. Dans le clip de Born This Way, hit-pastiche de la Madonna late eighties, Lady Gaga donne naissance à Rick Genest en fils diabolique; elle danse à ses côtés, le visage maquillé exactement comme celui, tatoué, de Rico. Dévoilée sur Internet le 28 février, la vidéo de ce 1000e numéro 1 du palmarès Billboard a propulsé Genest au zénith de l’imagerie pop, rappelant la prédiction d’Andy Warhol qui voulait que dans le futur, tout le monde connaîtrait ses 15 minutes de gloire planétaire. Blogues, télé, journaux: Rico est devenu l’objet d’une attention médiatique alimentée par son refus d’accorder des entrevues.

En exclusivité, il a accepté de rencontrer NIGHTLIFE.ca pour revenir sur cet hiver pour le moins surprenant, qui l’a mené d’un loft punk-rock du quartier Saint-Henri aux défilés parisiens. 

 

Sortir de l’ombre
Les médias internationaux et la presse mode ont rapidement présenté l’histoire de Rico comme un conte de fées: en décembre dernier, il aurait été repéré sur Facebook par Nicola Formichetti, le styliste de Lady Gaga et nouveau directeur de création chez Mugler (la maison fondée par Thierry Mugler, symbolique des excès des années 80). Formichetti est entré en contact avec Rico, puis est venu à Montréal en janvier photographier les premières images de sa collection pour hommes. C’est l’agence locale TRUSST qui est engagée pour superviser la production. Les fondateurs de TRUSST, Melissa Matos et Andrew Ly, avaient déjà travaillé avec Rico sur une séance photo; ils se sont connus grâce à l’oiseau de nuit Gibran Ramos. En entrevue, Genest reste vague sur les circonstances extraordinaires qui l’ont mené à devenir le visage de cette marque phénix, qui renaît de ses cendres.

Après la séance, Formichetti choisit d’amener Genest avec lui à Paris pour défiler à la présentation Mugler pour hommes du 19 janvier. Il y a un hic: Rico n’a pas de passeport en plus d’être embêté par des amendes totalisant plus de 10 000$ dans plusieurs provinces canadiennes. Formichetti est d’accord pour couvrir les dépenses nécessaires: il fait de Genest un homme libre. Pour accélérer le processus d’obtention des papiers nécessaires, Rico et TRUSST dénichent un avocat en immigration qui deviendra son gérant. Le 19 janvier, Rick Genest défile dans son premier défilé parisien. Ses tatouages, la raison principale de ce revirement inattendu, il les a payés en lavant des vitres de voitures. Quelques semaines plus tard, il partageait le podium avec Lady Gaga pour le défilé féminin de Mugler, après l’avoir rencontrée sur le plateau du clip de Born This Way.

«Mes amis croient que je suis riche maintenant», s’amuse Genest. Mais ce n’est pas le cas: Colin Singer, le gérant qui a choisi de sauter dans le show-business avec Rico, souhaite aider son protégé à capitaliser sur cet engouement médiatique. Quelques jours après la séance photo pour NIGHTLIFE.ca, ils s’envolaient pour Budapest pour un contrat. Rico apparaîtra peut-être sur scène au Centre Bell lorsque Lady Gaga visitera Montréal le 25 avril prochain.

 

Un garçon comme les autres
Rico partage un appartement dans un édifice industriel près du réseau de chemin de fer de Saint-Henri. «On peut jammer toute la nuit, il n’y a pas de chance que les policiers débarquent. Et quelqu’un dans le building organise un party chaque soir. La fin de semaine, on peut se promener d’un appartement à l’autre. It’s pretty cool

Rico The Zombie n’est pas aussi macabre que son nom et les tatouages recouvrant son visage, son crâne, son torse, son dos, ses bras et ses cuisses (qui incluent un signe de radioactivité et des bestioles) pourraient le laisser croire. Il est animé, à la fois naïf et sage, avec une étincelle dans les yeux et un sourire étonnamment charismatique. Il parle avec assurance, et sa voix basse est celle de quelqu’un qui a vu sa part de bitume et de trottoirs dans ses années de street punk. En personne, ses tatouages rendent difficiles de savoir s’il est petit et musclé ou simplement mince, presque frêle. Il n’est pas grand; son corps donne l’impression de ne pas terminé sa poussée de croissance. Quand je lui demande comment il tolère la douleur chaque fois qu’il se fait tatouer, il me répond: «Ça prend de la pratique. J’y arrive. Ça fait partie du boulot.»

Le «boulot», c’est aussi la passion de Rico pour la performance gore, inspirée de films d’horreur. Après quelques réponses un peu floues sur sa célébrité nouvelle, son visage s’illumine quand je mentionne son projet de carnaval. «Nous sommes Lucifer’s Blasphemous Mad Macabre Torture Carnival. Nous avons un zombie, un tortionnaire, un automutilateur. On travaille avec deux belles filles qui s’appellent Bella Obscura. Elles font une danse pour mon copain Caleb! Il y a des femmes magnifiques et des gens qui se font torturer… ça donne un show contrasté, près de l’enfer.» La troupe devrait être à Toronto le 9 avril (au Mitzy’s Sister), mais Rico pourrait avoir un engagement quelque part dans le monde. Le mois dernier, il a dû annuler sa participation à un spectacle thématique sur les ninjas à Montréal pour se rendre à Budapest.

 

Faire fi des règles du jeu
Tu fais quoi dans le show? «Je fais le zombie. Du fakir, manger des clous, du blockhead, du brain floss, parce que c’est dégoûtant. Je mets beaucoup de choses dans mon nez. Du geek work, comme manger des vers, des cerveaux et des œufs de poissons. Je fais aussi le clown… en plus de traverser la douleur. C’est très macabre.»

Au sujet de ne pas être conventionnel, sa mère ouvertement conservatrice a dit au quotidien britannique The Daily Mail: «Rick sera toujours lui-même. Il aime beaucoup sa famille et il est très fidèle à ses amis. Ses grands-parents l’adorent, il a participé à des mariages et tout le monde l’accepte.» À propos des règles et de la vraie vie, Rick ajoute: «Les conventions sont surévaluées. Si tout le monde travaillait de 9 à 5, il n’y aurait pas de night-clubs, il n’y aurait personne qui écouterait du Lady Gaga. Le 9 à 5 est une norme pour les gens qui ne peuvent pas créer leurs propres règles.»

Dans Born this Way, Lady Gaga fait aussi l’apologie de la sexualité ouverte: «No matter gay, straight or bi; lesbian transgendered life», on est tous pareils. Encore une fois, la vie de Rico et le dico de l’ambiguïté sexuelle dans la musique pop se mélangent: lorsqu’on lui demande s’il a un copain ou une copine, il nous laisse dans le mystère. «Overrated» est sa seule réponse au sujet des relations. Il sourit, gêné.

Rick Genest est punk-rock jusqu’au bout des ongles: la musique pop et la mode ne sont pas ses mondes. «Je suis plutôt ouvert. Tu peux avoir le bon et le mauvais dans tout: musique, sports, arts… même dans les drogues!» ajoute-t-il en riant. Il est arrivé sur le plateau vêtu d’un long manteau noir et coiffé d’une casquette avec des studs métalliques. En dessous, il porte un complet noir trop grand pour lui et ne semblait pas très intéressé par les pièces aux tons neutres préparées pour l’occasion par la styliste.

Il a de bons mots pour Formichetti et Lady Gaga, même s’il n’a vu cette dernière que quatre fois. «On riait. Après le défilé, on est allés prendre des verres. C’était bien. Ils ont une belle aura. Spiritual people

«Gaga est une machine. C’est une distraction, comme les carnavals. C’est du divertissement pour tout le monde», ajoute-t-il, pensif.

 

Créer une culture globale
Qu’est-ce qui a changé depuis que Formichetti t’a sorti de Saint-Henri? «J’essaie de bâtir ma propre compagnie, maintenant que j’ai un peu d’argent. J’engage des gens. Le fait de suivre mes propres règles et non celles des autres est un rêve qui se réalise.» Des inconvénients? «Maintenant, des inconnus m’approchent pour me parler de Lady Gaga et me demandent si mon tatouage est réel.» Tu réponds quoi? «Je réponds non, c’est le maquillage de ma petite sœur. Ou, non, ce n’est pas moi dans le clip, c’est mon jumeau, on a le même tatouage. Si tu poses une question stupide, tu obtiens une réponse stupide.»

Un ingrédient souvent laissé de côté dans l’histoire de Rico The Zombie est le talent de commissaire de Nicola Formichetti. Comme styliste, il sait réunir les meilleures idées pour créer des images fortes et pleines de sens, comme celle de Lady Gaga qui sort d’un œuf aux Grammys. Dans ce monde hyper connecté, où la culture et le spectacle sont plus internationaux et numériques que jamais, Formichetti réunit sans relâche des objets et des individus pour divertir une génération qui voit le monde à travers un écran.

En tatouant notre peur collective de la mort sur son corps, Rick Genest met au défi notre relation au temps et à la beauté. S’il ne réfléchit pas beaucoup à l’avenir, il souligne que tout le monde a un passé. Sur la beauté, il ajoute: «Je ne sais pas, il y a beaucoup de beauté.» En pointant de l’autre côté de la rue, il dit: «Ce vélo rouillé et brisé, accroché au poteau tout l’hiver, c’est plutôt cool. La beauté, ce sont les vélos brisés.»

L’art, le temps, la beauté… Qu’est-ce qui est le plus important pour toi, Rico? «Être vrai. Respecter tes proches. Tes amis, ta famille. Les tiens.» Et Montréal? «Bien sûr, j’adore Montréal. Cette ville m’a montré tout ce que je connais.»

 

Photographe: Raphaël Ouellet assisté de Charles-Antoine Auger
Direction artistique: Marie-Claude Bourdeau et Raphaël Ouellet 
Retouches: Le Visualbox
Styliste: Melissa Matos, assistée de Vé Goguen
Souliers: Aldo
Sous-vêtements: Model’s own
Shorts: Tillmann Lauterbach
Veste: Christian l’Enfant Roi
Lunettes: Retro Superfuture
Mini-épée: Stylist’s own

 

Plus de contenu