Le paradoxe du mythe godspeed you! black emperor, c’est qu’il a vraiment pris son envol alors que le groupe, lui, était en plein déclin. La troupe locale est vraiment devenue populaire avec les albums Lift Your Skinny Fists Like Antennas to Heaven (2000) et Yanqui U.X.O. (2002), mais son vrai bon disque, son œuvre décisive, c’est f#a#∞ (1997). C’est lui qui a tourné les têtes en direction de Montréal, c’est lui que Danny Boyle écoutait lorsqu’il a conçu 28 Days Later, au point d’en retenir un extrait pour sa trame sonore.
Au tournant des années 2000, le matériel de cet album phare était déjà largement éclipsé, en concert, au profit de celui des deux ultimes opus du collectif. Normal, dans un sens, puisque son personnel avait entre-temps changé de façon substantielle.
On espérait quand même naïvement que la récente tournée-réunion soit l’occasion de revisiter cette phase importante. «The Dead Flag Blues», «East Hastings» et leurs mouvements instantanément reconnaissables: «Slow Moving Trains», «The Cowboy», «The Sad Mafioso»… Tant qu’à ressasser du vieux matériel, autant mettre l’emphase sur le meilleur, pas vrai?
Hélas non, pas vrai. Ceux qui avaient pris leurs billets pour l’un ou l’autre des concerts du Théâtre Corona ont apparemment eu droit à «The Sad Mafioso» en conclusion des deux heures et demie qu’ont duré chaque concert, mais pour ceux qui avaient parié sur le dimanche 1er mai à l’Olympia, la plus austère (et moins intéressante) «Dead Metheny» aura été la seule allusion au fameux disque.
D’accord, il y avait lieu de varier le répertoire de l’un à l’autre des cinq concerts donnés à Montréal au cours de la dernière semaine. Mais seulement dix minutes accordées à f#a#∞ sur deux heures et demie de concert? Vraiment, godspeed aura joué la créature farouche jusqu’au bout. Au détriment de son art, dans ce cas-ci.
Difficile, quand même, de considérer la soirée comme une perte de temps, bien au contraire. godspeed, c’est une force de la nature, un char d’assaut sonore qu’il fait bon sentir nous passer dessus. Un son souvent imité au fil des ans, mais jamais égalé. Évidemment que ça faisait plaisir de replonger dans ces sombres vrombissements de basses fréquences, de sentir a nouveau les rythmes disloqués des deux batteries, de recevoir ces éclats souvent assourdissants de guitares et de cordes. On a eu droit au cérémonial en règle: les huit musiciens répartis de part et d’autre de la scène dans l’obscurité, les trois guitaristes assis, les touches occasionnelles de glockenspiel, les crescendos…
Et les projections. Dans ce département, le groupe a vraiment profité de sa réunion et fait du progrès. On a peu parlé de ce «nouveau membre» de godspeed officiant aux projecteurs: Karl Lemieux, un jeune cinéaste local qui manipule la pellicule en direct. Non, ces brûlures et autres altérations aperçues sur les images qui défilaient sur les deux écrans surplombant la scène n’étaient pas imprimées à même les films; l’artiste utilise en fait des procédés inhabituels comme l’application de blanchissant ou de peinture à même les bandes projetées. Son travail ajoute vraiment un cachet à la musique et au spectacle de godspeed, jadis accompagnés de séquences plus élémentaires. Le bruit chaleureux et antique des projecteurs créait par ailleurs un fond sonore agréable pour ceux qui se trouvaient à l’arrière de la salle.
Une soirée comme un feu d’artifice, donc. Sans moment éminemment surprenant ni renversant, mais suffisamment d’explosions et de couleurs pour en faire un rituel spécial. Le déception, c’est qu’il y a dans la musique de godspeed le potentiel pour tellement plus.
Tame Impala: la sauvagerie apprivoisée
La visite du quatuor australien Tame Impala à la Sala Rossa, l’automne dernier, a été qualifiée par plusieurs de meilleur moment rock de l’année 2010 sur les scènes montréalaises. Il n’en fallait pas plus pour m’attirer vers le Café Campus, samedi dernier. Effectivement, la bande livre un rock pas banal. Psychédélique à l’excès. Exagéré comme le stoker rock peut l’être, mais avec des effets de modulation dans les guitares à la place de la distorsion. Des ambiances denses à la place des riffs. Et une minutie étonnante en lieu et place du relâchement.
Ça nous a valu un beau trip sonore, un bel exercice de style, mais limité comme peut l’être l’album Innerspeaker, qui nous a fait tendre l’oreille l’an dernier. Tame Impala présente un univers fascinant, mais qui reste encore à être articulé. Il manque les chansons dignes de ce nom. Les pièces de Kevin Parker sont tout simplement trop sinueuses et erratiques pour qu’on entre pleinement dans son monde.
Quand cet ingrédient de base est là, l’effet est instantané. On a pu le constater quand la bande s’est lancée dans son excellente reprise de «Angel» de Massive Attack. Voilà un morceau que j’avais toujours souhaité entendre repris par un groupe rock et Tame Impala le retouche de main de maître, avec tout le souci du détail requis, mais une couche de noirceur et de tension en plus. Brillant!
Le propre répertoire de Tame Impala, en comparaison, manque de muscle. Reste un brouillard fascinant, invitant, dans lequel on a hâte de trouver un jour un point d’ancrage.