Lia Rodrigues au FTA: la chorégraphe brésilienne nous plonge tête première dans la favela de Rio
Iris Gagnon-Paradis
À Rio, la favela n’est pas un bidonville excentré, loin des regards proprets. Au contraire, elle se déploie en plein coeur de la cité. Lia Rodrigues en sait quelque chose: c’est là qu’elle a installé sa Companhia de Danças. La chorégraphe brésilienne met les pieds pour une troisième fois à Montréal, une ville différente dont elle aime l’atmosphère et les gens, nous dit-elle de Rio de Janeiro, dans un français hésitant mais impeccable.
Elle vient au FTA présenter sa nouvelle création, qui s’interroge sur la rencontre. Que se passe-t-il lorsque onze personnes sont rassemblées dans le même espace pour une période prolongée? C’est cette question qui a servi de vecteur à l’improvisation, une méthode de création chère à la chorégraphe. La rencontre, elle peut être «brutale, douce, amoureuse, haineuse. À l’image de la vie», illustre-t-elle.
La pièce se nomme Pororoca, une métaphore qui signifie «mascaret» en français. Masca quoi? Couchons-nous tous moins niaiseux à soir, comme dirait ma mère, en consultant ce cher Robert: «Longue vague déferlante produite dans certains estuaires par la rencontre du flux et du reflux». Au Brésil, c’est le face-à-face entre le fleuve Amazone et l’océan Atlantique qui provoque cette puissante vague, une des plus spectaculaires au monde.
À l’image de ce mouvement d’une force inouïe, les onze interprètes deviennent, littéralement, une vague humaine. Armés de bouts de tissus multicolores et de quelques objets qu’ils lancent et relancent dans les airs, ils s’élancent, les uns sur les autres, roulent, s’escaladent, géante ondée en déplacement, qui se brise et se reforme sans cesse. Les chairs se frottent, l’animalité surgit. Le chaos, quoi.
On est devant une matière brute: absence de décor – les accessoires tiennent dans une valise –, et aussi de musique. Un choix économique et esthétique, mais également une nécessité, affirme Rodrigues. «J’ai été très attentive à écouter cette musique, ce rythme, qui sort du travail… Le silence, c’est aussi de la musique.»
Chaos organisé
Mais ne vous laissez pas prendre aux apparences, le chaos exprimé sur scène relève d’une chorégraphie élaborée avec grande minutie. Un peu à l’image des rues de la favela, qui pour l’oeil étranger ne sont qu’un énorme foutoir, alors que c’est tout le contraire. «Si tu marches dans la favela, tu vas penser que c’est n’importe quoi, mais c’est tout simplement une autre organisation, façon d’être. Ça peut être difficile à comprendre pour les pays très organisés… Mais on n’est pas n’importe quoi au Sud!» se défend-elle.
Très impliquée socialement, la créatrice qui a installé sa compagnie depuis huit ans dans la favela travaille présentement à y construire un Centre des arts et, éventuellement, une école. «Quand on voit l’espace, on ne croit pas que c’est possible de les construire, mais c’est tellement différent ici comment on fait les choses. Tout à coup, on a l’argent et en deux ou trois semaines, on construit!» Ah oui? J’aurais peut-être un ou deux projets pour vous alors…
Pororoca
Du 28 au 30 mai | Usine C | 1345, Avenue Lalonde
Festival TransAmériques | fta.qc.ca