Aller au contenu
Grimes: des sons d’un autre monde

Claire Boucher parle vite, bouge vite. Rentrée d’une tournée d’un mois quelques heures avant notre rencontre, son laptop lui est tout simplement mort entre les mains, effaçant cinq moins de travail sur un nouvel album pratiquement achevé. Mais le drame semble déjà loin derrière elle. «Ça va juste me permettre de faire quelque chose de mieux», lance-t-elle, la voix pleine d’entrain.

Loin d’accuser la fatigue accumulée, elle s’enchante plutôt du concert à venir le soir même au Il Motore. «Ça fait un mois que je dois bien me tenir. J’ai hâte de retrouver les amis et les punks habituels. Je sens que je vais boire beaucoup!»

Sa carrière encore toute jeune avance un peu au même rythme. En un an, la collagiste maladroite qui signait début 2010 l’éparpillé Geidi Primes (un hommage à l’ouvrage de science-fiction Dune) et recommençait à qui mieux mieux ses chansons sur scène est devenue espoir pop reconnu ainsi qu’une pro de la scène. Sa tournée, c’était en première partie des dates nord-américaines de Lykke Li, avec qui Boucher partage désormais le même agent. Prolifique, elle a donné suite à Geidi Primes avec deux parutions qui l’ont installée dans un carcan plus pop: Halfaxa, teinté d’imagerie médiévale, et le tout récent EP Dark Bloom, en tandem avec son ami D’Eon. Deux vidéoclips léchés, abondamment visionnés en ligne, ont solidifié son nouveau créneau.

Inexcusable
De son propre aveu, Claire n’a plus de raison de souligner son manque d’expérience comme elle l’a souvent fait en entrevue. «Je pense que je me servais un peu de ça comme une excuse pour ne pas utiliser pleinement mon potentiel. Du genre: ‘‘Si tu te trompes, c’est OK parce que tu ne sais pas ce que tu fais’’. Maintenant, c’est plus: ‘‘non, si tu te gourres, c’est parce que tu as fait quelque chose de mal, tu ne peux pas prétendre que tu ne le sais pas’’. Aussi, c’était un peu utilisé comme une gimmick par les médias. Je ne veux pas avoir cette image.»

En cours de route, son trip solitaire est devenu un peu plus collectif. Des danseurs s’ajoutent parfois à ses concerts, ses chansons ont fait l’objet de remix (en plus de ceux qu’elle a produits pour Washed Out, S.C.U.M. et autres), ses vidéoclips pour «Crystal Ball» et «Vanessa» ont sculpté son image et façonné de plus belle son monde («on a cultivé une espèce d’esthétique de pop star, je ne sais trop comment»), tandis que son EP avec D’Eon a fait l’objet d’une collaboration étroite entre les deux artistes. «C’est très important, pour moi, cet esprit de communauté. Le studio La Brique, où je pratique; Arbutus Records, la salle du Torn Curtain… La présence de tout ce monde autour de moi est essentielle à ce que je fais.»

Cela dit, Grimes ne deviendra jamais un groupe. Claire tient à demeurer seule sur scène, même si la manipulation simultanée de ses claviers et machines n’est pas de tout repos. «Tu vois beaucoup de groupes avec des filles qui chantent. Les gens présument toujours qu’elle n’est que la chanteuse et que la musique vient de quelqu’un d’autre. On me demande encore à chaque concert qui produit mes loops! J’aimerais que les gens envisagent qu’il est possible pour une fille de faire sa propre musique. Je tiens vraiment à garder cette image solitaire pour qu’on réalise que c’est moi qui fais tout. Parce qu’à chaque show, il y aussi toujours cette fille qui vient me dire qu’elle est contente que je fasse tout moi-même.»

Suite logique
Si tout le côté visuel de Grimes représente un développement récent, il cadre complètement avec le trajet de la jeune femme de 23 ans. Comme tout ce qu’on trouve dans sa musique, d’ailleurs, en elle-même une forme d’expression neuve pour Boucher, qui ne s’est vraiment mise à bidouiller qu’en 2009. «Ado, j’aimais vraiment Skinny Puppy, Nine Inch Nails, Marilyn Manson… Je m’identifiais comme une goth (rires)! Avant, je faisais du ballet depuis l’âge de cinq ans. La musique a vraiment toujours fait partie de ma vie, même que ça m’obsédait! Quand j’ai atteint l’adolescence, je suis devenue un peu différente. J’ai lâché le ballet et je suis entrée à une école secondaire artsy où tout le monde avait les cheveux verts.»

Si elle n’a jamais refait de ballet, la danse a été un déterminant majeur sur son art et continue selon elle de «faire partie du projet».

Depuis qu’elle a quitté son Vancouver natal pour Montréal, il y a cinq ans, Claire a plutôt trouvé l’inspiration dans son parcours éclectique d’étudiante. Après un essai avorté en électro-acoustique (alors qu’elle n’avait aucune notion musicale), elle a fait le bac en arts et science option langue et littérature russe à McGill. «S’il y a une culture qui m’a influencée, c’est bien celle-là», note la jeune femme, elle-même d’héritage ukrainien via son père (son nom de famille français vient de son grand-père, originaire des environs de Québec). «J’aime l’idée de dualité entre douleur et beauté et je trouve que la culture russe englobe bien cela.»

Puis, l’an dernier, elle a entamé une maîtrise en histoire. «Ça a été un désastre puisque je n’ai jamais rien écrit sur l’histoire, mais je voulais vraiment en faire une. J’étais passionnée de littérature et de philosophie médiévale, donc j’ai choisi d’écrire ma thèse sur Hildegard Von Bingen, une compositrice et écrivaine du douzième siècle. C’est une grosse influence pour moi, en tant qu’artiste féminine. Elle a passé 16 ans de sa vie dans un cloître. Elle se faisait enchaîner et torturer, elle ne mangeait pas. À son époque, les femmes ne faisaient pas de musique, mais elle a a pu contourner le système et faire publier son art en prétendant qu’il ne venait pas d’elle, mais bien de Dieu.»

Ces réflexions ont lourdement marqué Halfaxa ainsi que son travail plus récent. «Halfaxa est inspiré par une impression de la vie médiévale, mais aussi par la conception qu’on avait de la musique à cette époque. Tout était abstraction, quelque chose de divin et non de physique. Je n’ai donc pas écrit de paroles; je voulais que le feeling soit transcendental, qu’on ne puisse pas faire de lien avec la vie quotidienne. Je voulais que ça soit éthéré, comme venant d’un autre monde. Une chose que je n’aime pas de la musique indie ou de la musique contemporaine en général, c’est qu’on y parle trop de la vie de tous les jours. Au Moyen-Âge, ça ne se faisait pas; c’était considéré comme nombriliste. Tout était dévotionnel. Je trouve l’art tellement plus grandiose comme ça.»

Inconstante de son propre aveu, elle reconnaît changer d’idée sur à peu près tout aux cinq mois environ, incluant sa diète musicale. «Je voudrais que mon prochain ressemble à Aphex Twin rencontrant Mariah Carey», lance-t-elle.

Le caractère surréel de sa musique est cependant là pour rester. «Je m’exprime de façon sonore, pas lyrique. Ça reste très émotif, mais d’une manière non littérale. La musique est censée être un langage universel. Je pense honnêtement que ce n’est pas une expérience faite pour raconter des choses précises. C’est quelque chose qu’on ne comprend pas; on ne sait pas pourquoi ça affecte tant les gens. J’aime donc que ça reste abstrait, lointain.»

Grimes
28 juillet | Sala Rossa
4848, Saint-Laurent
avec Pat Jordache et Gobble Gobble
myspace.com/boucherville

 

Plus de contenu