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Les États-Unis d’Afrique: arme de destruction massive contre tous ces clichés périmés de l’Afrique

Nelson Mandela? Bien sûr, son parcours politique ainsi que sa lutte contre l’apartheid sont bien connus. Mais qu’en est-il de Thomas Sankara, Patrice Lumumba et Kwame Nkrumah? Déplorablement, on ne nous a jamais enseigné l’histoire de ce caporal anti-impérialiste burkinabé, ce révolutionnaire congolais et ce tout premier président du Ghana. Parce que l’histoire de ces trois grands hommes de l’Afrique moderne est également le puissant témoignage d’un continent s’étant battu farouchement pour son indépendance aux dépens de l'Occident, contrôlant son destin à distance.

Le réalisateur montréalais Yanick Létourneau, à qui l’on doit notamment les documentaires Chronique urbaine, sur le quotidien du rappeur montréalais SP (Sans Pression) et Je porte le voile, à propos d’une Québécoise convertie à l’islam, nous dresse ici le portrait d’une Afrique à contre-courant des gros clichés (victimes, guerres, famines, safaris, tam-tams et autres images folkloriques). À la suite d'un coup de foudre absolu pour le milieu du hip-hop africain, découvert au festival Waga Hip Hop, Létourneau a voulu nous faire voyager au cœur de l’Afrique et ainsi révéler ses vraies racines, par le biais de la musique.

 

Remettre les pendules à l’heure avec Présidents d’Afrique
Létourneau se lie rapidement d’amitié avec le rappeur sénégalais Didier Awadi, un vétéran de la scène africaine avec plus de 25 ans d’expérience, qui prépare alors un projet d’envergure pour son prochain album, Présidents d’Afrique: celui de parcourir le continent, collaborer avec des rappeurs engagés dans une quarantaine de pays, et dresser un bilan des grands leaders africains et de leurs réalisations, encore beaucoup trop méconnues au sein de leur propre peuple. Une façon de rendre hommage à ces grands hommes, qui ont osé rêver d’une Afrique libre, unie, qui prendrait en main son propre destin. Aux yeux d’Awadi, il s’agissait d’un projet pédagogique et musical, ayant comme but ultime d’interpeller la jeunesse africaine. « Les jeunes africains sont comme tous les jeunes du monde, affirme Awadi, rencontré lors de son passage à Montréal la semaine dernière à la Cinémathèque québécoise. Ils ne sont pas forcément engagés, mais il faut les amener à ça. Si on vote, ça change, et il faut leur donner des exemples. En Afrique du Sud, quand tout le monde s’est engagé, l’apartheid est tombé. Au Sénégal, quand tout le monde a voté en 2000, un régime qui était là depuis 40 ans est tombé. Au Mali, quand tout le monde a voté et que les gens sont descendus dans la rue, et qu’on en a tué un paquet, les choses ont changé. Si on reste là, rien ne va changer, et on va nous dire qu’il y a une malédiction sur l’Afrique. On laisse les autres écrire l’histoire à notre place, et après, on n’a que nos yeux pour pleurer. »

Dès cette première rencontre, Létourneau endosse complèment le discours d’Awadi, qui véhicule selon lui l’image d’une Afrique consciente, intelligente, qui porte son regard non seulement sur soi-même, mais sur le monde. Awadi devient rapidement le fil conducteur du film Les Etats-Unis d’Afrique, une incursion dans le monde du rap engagé mais surtout des grands politiciens noirs qui ont payé cher d'avoir osé revendiquer l’indépendance africaine. « J’ai voulu donner le goût aux Montréalais d'en savoir plus, de prendre un livre après le film et de se demander: “c’est qui Thomas Sankara?”, confie Létourneau. Parce que l’histoire de l’Afrique ne concerne pas que les Africains; ça nous concerne tous. Pourquoi on ne la connaît pas? Parce que ça sert des intérêts. Nos gouvernements et l’élite financière continuent de piller ses ressources, et font des trucs exécrables en nos noms. Ça, on n’en est pas conscient, parce qu’on s’en fout de l’Afrique. »


Le rappeur burkinabé Smockey, devant la tombe de Thomas Sankara (Les États-Unis d'Afrique)

 

Lorsque les labels écrasent la conscience
Létourneau et sa caméra accompagnent Awadi aux quatre coins du monde depuis 2008, d’une remise de prix musicaux à Ouagadougou à l’investiture de Barack Obama à Washington. Réalisateur et rappeur partent ensemble à la rencontre d’artistes qui partagent leur vision – Smockey au Burkina Faso, Zuluboy en Afrique du Sud, et même M-1 du groupe Dead Prez à New York. Car Awadi cultive une grande admiration pour ces Public Enemy, Arrested Development et autres rappeurs engagés de l’Amérique noire qui ont su faire renaître les idéaux de Malcolm X, Martin Luther King et cie auprès d’une nouvelle génération. Un des entretiens les plus révélateurs du documentaire est d’ailleurs celui avec M-1, qui affirme ne pas s’identifier comme Américain, mais plutôt en tant qu’Africain. Il parle du hip-hop des U.S.A. comme d’une industrie « qui vous est présentée par MTV, gracieuseté de Barack Obama. » Pour Awadi, dont le voyage en Amérique constitue l’occasion de souligner ce président aux racines africaines et porteur d’espoir pour son continent, les propos de M-1 lui permettent d’apporter certaines nuances.

« J’aime lorsque M-One nous parle du hip-hop et de ce qui s’est passé aux Etats-Unis, indique Létourneau. La diversité a été perdue lorsque tous les petits labels ont été achetés par les majors, qui ont fini par mettre l’emphase uniquement sur un certain type d’artiste, avec un certain type de message: partys, consommation, sexe, drogues, voitures et femmes. Ce qui a été mis de l’avant a un message très abrutissant pour la majorité des Noirs. Quand j’ai été en Afrique, j’ai constaté que les gens là-bas n’avaient pas oublié pourquoi ils se battent. Parce qu’il n’y a pas vraiment d’intérêts commerciaux des majors de ce côté, il y a une liberté là-bas. La scène hip-hop en Afrique de l’Ouest est beaucoup plus développée que ce qu’on retrouve ici au Québec; ça n’a rien à voir. Et ce qui est rafraîchissant, c’est que la majorité des propos sont conscients. »

 


Didier Awadi (Les États-Unis d'Afrique)

Document porteur d’espoir
Aux yeux d’Awadi, tout comme Létourneau, le hip-hop n’est pas un tremplin vers la gloire made in USA, complètement dépourvue de sens. C’est un outil servant une plus grande cause, un dur combat politique que l’Afrique doit poursuivre si elle souhaite vraiment revendiquer son indépendance. Et comme les deux le savent très bien, ce sont les jeunes, encore porteurs d’espoir et imperméables au cynisme des plus vieux, qui livreront ce combat. Awadi, Smockey, Zuluboy et leurs comparses détiennent dorénavant un témoignage puissant, qui risque de toucher la fibre panafricaine de ces jeunes beaucoup plus directement que de poussiéreux livres d’histoire rédigés à l’étranger.

Les Etats-Unis d’Afrique
Mercredi 16 novembre à 18h30 à la Grande Bibliothèque 
| 475, de Maisonneuve E.

La projection sera suivie du débat Musique et engagement politique, animé par Nantali Indongo de Nomadic Massive.
Rencontres internationales du documentaire de Montréal ridm.qc.ca

 

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