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Les 10 meilleurs films québécois de 2011, de Monsieur Lazhar à Nuit #1

Un Top 10 de longs métrages québécois présentés en 2011? Certains à qui j’en ai parlé semblaient un peu surpris qu’on ait pu produire 10 bons films québécois au cours des derniers 12 mois. Eh bien, détrompez-vous, lecteurs méfiants, car la qualité de notre cinématographie était au rendez-vous cette année. On vous présente une liste non scientifique, non exhaustive, plutôt personnelle de nos 10 coups de cœur de l’année en matière de longs métrages de fiction. Oubliez la tentative bâclée de nous faire revivre le Limelight et l’époque du Montréal disco, l’humour très douteux qui règne à l’école d’immersion française de Saint-Isidore-du-Coeur-de-Jésus ou le croisement québécois et très sirupeux entre Dirty Dancing et Flashdance. Rien de tout ça ci-dessous; que de très bons films qui ont même pour la plupart fait rayonner notre culture à l'étranger. Et attention, quelques-uns de ces titres ne sortiront en salles qu’en 2012, donc c’est à inscrire au calendrier.

 

1
Monsieur Lazhar
(Philippe Falardeau)
Avec Fellag, Sophie Nelisse, Émilien Néron, Danielle Proulx, Brigitte Poupart

Un choix plus qu’évident, plusieurs diront, puisque le quatrième long métrage de Philippe Falardeau a été choisi pour représenter le Canada aux Oscars, que toutes les critiques lui ont réservé des éloges dithyrambiques et qu’il a remporté moult prix à Locarno, Toronto, Namur, Hambourg, Halifax, Valladolid et j’en passe.

Mais cela n’enlève rien au fait qu’aucun autre film n’a pu égaler la force et la finesse de cette adaptation magistrale, riche en nuances de la pièce d’Évelyne de la Chenelière. Falardeau nous livre un hommage fort émouvant aux enseignants, ainsi qu’à tous ces nouveaux arrivants qui tentent tant bien que mal de s’intégrer dans leur pays d’accueil, sans pour autant renier leur passé. Falardeau explore la réforme scolaire, l’intégration des immigrants et le deuil vécu à l’enfance avec grande acuité, et démontre une fois de plus (après C’est pas moi, je le jure!) son grand talent pour la direction de jeunes acteurs (Nélisse et Néron sont formidables), qui nous rappellent avec beaucoup de sagesse toutes ces épreuves traversées à l’enfance.
Notre entrevue avec Philippe Falardeau

 

2
Jo pour Jonathan
(Maxime Giroux)
Avec Raphaël Lacaille, Jean-Sébastien Courchesne, Jean-Alexandre Létourneau et Vanessa Pilon

Le film est passé quasi inaperçu au moment de sa sortie en mars dernier. Maxime Giroux, qui a fait ses preuves en tant que réalisateur de vidéo clips (The Dears, Sam Roberts, Corneille) et de nombreux courts, toujours empreints de sa signature minimaliste, raconte avec ce deuxième long métrage l’histoire d’un ado passif, un peu délinquant, s’enfonçant dans un quotidien de jeune banlieusard sans avenir, tout en vivant dans l’ombre de (et admirant) son frère aîné Thomas, un gars sans éducation, avec encore moins d’ambition qui participe à des courses de char style Fast and Furious, dans le but de rafler la mise. Emmerdement de banlieue oblige, les frères décident de s’adonner à une dernière de ces courses pour rembourser une dette (tout ce qu’il y a de plus légal, bien sûr) mais ne franchiront jamais le fil d’arrivée.

Un film profondément bouleversant, qui nous présente une réalité à l’état brut, sans bel emballage, et qui fait réfléchir sur ces jeunes, aliénés et incapables de communiquer, qu’on laisse à eux-mêmes. Les chars, la bière, la dope: les seules portes de secours pour ces jeunes paralysés, dont l’avenir qui se dessine nous apparaît assez glauque. Chapeau à Giroux d'avoir réussi à constituer un univers non seulement crédible, mais criant de vérité. La cinématographie est à l’image des personnages: délavée, pleine de sous-entendus et faisant preuve de grande retenue (évitant de flirter avec le gore, le macabre, le facile.) Laval comme plusieurs d’entre nous n’auraient jamais pu imaginer.
Notre entrevue avec Maxime Giroux
Notre critique du film

 

3
Le vendeur
(Sébastien Pilote)
Avec Gilbert Sicotte, Nathalie Cavezzali, Jeremy Tessier

La réalité en milieu rural n’aura jamais été aussi déchirante qu’en 2011 pour le cinéma québécois. En compagnie des films En terrains connus (#5), Marécages (#7), ainsi que Curling de Denis Côté en 2010, Pilote en arrive à un constat assez alarmant à propos de l'avenir des communautés vivant hors des grands centres urbains. Marcel, un vendeur d’automobiles de la vieille école ayant consacré sa vie à son métier (à 67 ans, il habite en face du concessionnaire qui l’emploie depuis le début de sa carrière, si ça peut vous donner une idée) voit ses rendements chuter et son village de Dolbeau-Mistassini dépérir alors qu’une usine de pâtes et papiers menace de fermer la shoppe (la seule de la région).

Pilote, qui a lancé son film à Sundance en janvier dernier, cerne la psychologie du vendeur (en somme, pour ce Marcel, « meilleur vendeur du mois » depuis 15 ans: vendre à tout prix) et l’applique à cette communauté fragile en pleine crise économique…et existentielle. Le vendeur évoque le passage du temps et la remise en question qui s’impose lorsque un métier, un train-train, une vie qu’on a travaillé fort à entretenir disparaît subitement, sans avertissement. Pilote traduit l’amertume de Marcel et de tout un village avec un montage au rythme lent, une caméra braquée sur un village paralysé, enseveli sous la neige, et l’interprétation remarquable de Gilbert Sicotte.

 

4
Goon
(Michael Dowse)
Avec Sean William Scott, Jay Baruchel, Liev Schreiber, Marc-André Grondin et Alison Pill
 
Le film ne sortira qu’en février 2012, mais on n’a pu s’empêcher de vous en glisser un mot. Parce que, même s’il est vrai que ce fut un grand cru pour le cinéma québécois, la cuvée 2011 n’aura pas inspiré d'innombrables sourires et fous rires. Goon, qui se tient bien loin de toute comparaison possible à Maurice Richard ou Les Boys, se révèle un malin plaisir, avec son équipe de joueurs excentriques et pas trop dégourdis, son humour décalé et fièrement irrévérencieux, sa lettre d’amour d’un mordu de notre sport national à tous ces bagarreurs sur glace qui protègent les joueurs vedettes d'une l’équipe. Sean William Scott, dont on se souviendra pour ses «duuuude» bien sentis dans le cinéma d'ados au tournant du millénaire (Dude, Where’s My Car?, American Pie, Road Trip) refait surface ici comme bouncer misérable et pas trop futé qui se voit du jour au lendemain proposer d’être goon pour une équipe de hockey junior (lui qui ne sait pas patiner), après avoir sacré un méchant coup de poing à un joueur homophobe de l’équipe adverse lors d’une partie télévisée.

Pour notre pays jamais rassasié en matière de hockey, Goon pourrait s'avérer la comédie intelligente, rassembleuse et débridée que les fans espéraient depuis longtemps – mais ce seront eux qui auront le dernier mot. Inspiré du livre autobiographique du goon Doug Glatt, le réalisateur Michael Dowse (FUBAR, It’s All Gone Pete Tong) a habilement tiré son épingle du jeu en transposant l’histoire d’un mec d’une famille assez bourgeoise, qui suit les conseils de son pote hyper pervers et friand de violence sanglante (un Baruchel sans retenue aucune!) et décroche un poste de bagarreur à Halifax pour défendre la star déchue de l'équipe, Xavier Laflamme (Marc-André Grondin, qui joue la diva aux sautes d’humeur de façon admirable). Gros soupir de soulagement: ceux qui ne trippent pas hockey pourront finalement parler d’autre chose que du méprisable Don Cherry et de son affreuse garde-robe pendant que leurs compagnons de table ont les yeux rivés sur l’écran cet hiver.
Notre critique du film
En salle le 24 février 2012

 

5
En terrains connus
(Stéphane Lafleur)
Avec Fanny Mallette, Francis La Haye, Sylvain Marcel, Michel Daigle et Suzanne Lemoine

Une terre isolée, congelée, qui condamne ses résidents à une routine ennuyeuse. Il y a Maryse (Mallette), une fille timide qui ne ressent plus grand chose pour son conjoint mais est pourtant carrément ébranlée après qu’un collègue perd son bras dans un accident à l’usine de boîtes où elle travaille. Et son frère Benoit (La Haye), un éternel adulescent qui passe ses jours à jouer sa guit dans sa chambre d’enfance, jusqu’au jour où il reçoit la visite d’un homme du futur (« de septembre prochain », plus précisément) lui annonçant que sa sœur sera impliquée dans un accident mortel.

Après son excellent Continental, un film sans fusil, qui entrecroisait les destins de quatre personnages aux prises avec la solitude, Stéphane Lafleur poursuit dans la même lignée avec un récit sensible, un brin absurde et plein de mordant, à propos de deux frangins aliénés, prisonniers de cette vaste terre ainsi que de leur quotidien léthargique. La cinématographie est sobre, les perfos sont dans la retenue, et les non-dits nous donnent à la fois des frissons et de quoi pouffer de rire. Les films de Lafleur – qui est également à féliciter pour le montage sans heurts de Monsieur Lazhar – sont pleins de riches nuances que les cinéphiles les plus patients et avertis gagneront à découvrir.
Notre entrevue avec Stéphane Lafleur

 

6
Café de Flore
(Jean-Marc Vallée)
Avec Kevin Parent, Évelyne Brochu, Vanessa Paradis, Hélène Florent

Tout un pari que Vallée a su relever. Un film éclaté, extrêmement ambitieux et parfois même un peu étourdissant qui tisse des parallèles entre les destins croisés de deux familles vivant à différentes époques, sur différents continents, par le biais d’amours passionnels, de mystères envoûtants et d’une certaine pièce éponyme de Matthew Herbert. En 2011, nous retrouvons Antoine (Parent), le DJ montréalais à la vie jet-set et dont les visites au psy ne suffisent plus, lui qui mène son train-train avec deux belles filles, une blonde dont il est éperdument amoureux (Brochu) et une ex-femme qui peine à passer au travers de leur divorce (Hélène Florent, éblouissante). En 1969, il y a Jacqueline (Vanessa Paradis), mère parisienne monoparentale d’un enfant trisomique qui est prête à tout pour offrir une vie épanouie à son petit Laurent. Dans les deux cas, plusieurs bouleversements feront écrouler l’équilibre très fragile des personnages.

Entre les mains d’un réalisateur en herbe, le film aurait pu facilement s’en tenir à la formule classique de deux récits sans rapport apparent qu’on finit par démêler avec quelques parallèles boiteux à quelques secondes du générique. Mais avec Vallée aux commandes, les retours en arrière et flash-forwards ne confondent en rien le spectateur, les multiples trames narratives demeurent cohérentes, la cinématographie fait rêver, la réflexion métaphysique sur l’âme sœur se poursuit après la fin du film et la trame sonore – la vraie vedette –  s’offre en tant que fil conducteur.  Il fallait s’y attendre, bien sûr, venant du gars qui avait si bien intégré Patsy Cline, Charles Aznavour et David Bowie dans C.R.A.Z.Y. Ici, c’est Sigur Rós, Pink Floyd et Herbert qui guident le parcours des personnages.

 

7
Marécages
(Guy Édoin)
Avec Pascale Bussières, Gabriel Maillé, Luc Picard, François Papineau, Angèle Coutu, Denise Dubois

Construire un film autour d’une famille d’agriculteurs des Cantons-de-l’Est, ça peut facilement tomber dans le folklorique. Mais pas lorsqu’il s’agit d’un premier long métrage très personnel, tourné sur la même ferme laitière où a grandi le réalisateur, Guy Édoin. Un film d’une beauté crue et d’une grande force émotive, Édoin tisse une tragédie mettant en scène de vastes étendues menaçantes, avec une sécheresse qui laisse présager plusieurs bouleversements pour la famille Santerre. Il ne faudra qu’un accident causé par le fils (Maillé), un adolescent en pleine quête identitaire et sexuelle qui s’en balance complètement de cette écrasante vie rurale, pour venir chambouler le fragile équilibre domestique. Mère (Pascale Bussières, excellente dans un registre plus sombre) et fils devront ensuite apprendre à surmonter la colère, la douleur et l’incommunicabilité qui perdure entre eux. L’histoire d’une famille en détresse, qui agit en mode auto-pilot, sans chercher à s’épanouir, sans remettre quoi que ce soit en question, sans trop vouloir se pardonner.

Interviewé par courriel alors qu’il était à Venise, en août dernier, Édoin me parlait de l’aspect très personnel du film, et des parallèles entre lui et le personnage de Simon. « Marécages est vraiment une fiction, le film n'est pas autobiographique. Mais évidemment, comme dans beaucoup de premiers films, j'ai puisé dans mon passé, dans des souvenirs, des histoires racontées. J'ai construit mon film avec tous ces éléments et une très grande dose de fiction. Mes liens avec Simon sont nombreux, mais en même temps, ce n'est pas mon alter égo. Ce qui est le plus près de moi (à l'époque) c'est probablement son dégoût pour les travaux de la ferme. Simon est plus un rêveur, préoccupé par sa quête identitaire et sexuelle. Sinon côté carractère, je crois que nos têtes de cochon sont assez similiaires, même si je n'étais pas aussi enragé quand j'étais jeune. Je lui ai donné une force de caractère et un besoin de confrontation que je n'avais pas à cet âge-là. »

 

8
Roméo Onze
(Ivan Grbovic)
Avec Ali Ammar, Joseph Bou Nassar, Sanda Bourenane, Eleonore Millier, May Hilal

Alors que certains cinéastes québécois dénoncent un manque de diversité à l’écran, voilà une histoire qui fait écho à un Montréal pluriel que plusieurs reconnaîtront illico. Ali, un adolescent d’origine libanaise, souffre d’un handicap physique. Il est déchiré entre sa volonté de répondre aux exigences de son père traditionnel, et celui de se frayer son propre chemin; il s’évade donc la plupart du temps en ligne, vers des chat rooms, où il devient «Roméo11», un businessman globe-trotteur qui flirte avec une belle jeune femme. Lorsqu’elle insiste pour le rencontrer en personne, les deux univers incompatibles d’Ali sont alors appelés à s’entrechoquer. Le film ne traite pas d’immigration et n’a franchement rien à voir avec le racisme; Roméo Onze se penche plutôt sur le manque de confiance du personnage, sa timidité, sa peur de s’exposer.

Le film en dit long sur une incompréhension et un clash générationnel parfois criants entre parents de la diaspora et leurs enfants; sur la difficulté qu’on éprouve en tant qu’ados à nous assumer complètement, sur la nécessité de risquer le tout pour le tout afin de mieux se connaître. Grbovic propose un portrait intimiste et saisissant de l’adolescence, ainsi que du Montréal des jeunes ayant un pied bien enraciné dans les valeurs traditionnelles de leurs parents, et l’autre tout aussi ancré la culture québécoise. « Je ne voulais pas faire un film autobiographique, mais je voulais ajouter à la cinématographie québécoise un film qui était plus représentatif de mon enfance et de ma réalité quand j’étais jeune, me confiait Grbovic lors du Festival du nouveau cinéma. Ce sont des valeurs traditionnelles, c’est le même genre de famille, c’est dans les deux langues, c’est ne pas être conscient dans les deux langues parfois, c’est une culture qui n’est pas née à Montréal. »
En salle en mars 2012

 

9
Nuit #1
(Anne Émond) et Laurentie (Simon Lavoie et Mathieu Denis)
Avec Catherine De Léan et Dimitri Storoge; Emmanuel Schwartz
Deux films qui nous en disent long sur les préoccupations, les peurs, la solitude chez certains jeunes Montréalais. Deux portraits perturbants et contestataires d’une génération fin vingtaine/début trentaine qui cherche désespérément des balises, des repères, des valeurs auxquelles s’accrocher. Deux films qui valent fortement le détour, pour les performances audacieuses de Catherine De Léan et d’Emmanuel Schwartz, pour le constat frappant des trois réalisateurs à propos d’une jeunesse francophone un peu perdue, et pour le courage de porter au grand écran des histoires qui laissent peu de gens indifférents.

 


Laurentie
Dans Laurentie, certainement le film canadien le plus radical de l’année, le malaise du personnage de Louis Després (Schwartz), un gars de 28 ans confus, accro à la porno et menant une vie ennuyante dans «cette ostie de province de merde», prend des proportions pour le moins inattendues après avoir rencontré son voisin de palier anglophone, un mec qui aux yeux de Louis est charmant, ouvert et…insupportable. Louis est beaucoup dans la fuite: dans sa vie sexuelle, son rapport avec les autres et sa copine. Il préfère se mettre la tête dans le sable plutôt que d’aborder de front certains enjeux, et les deux cinéastes croient qu’il en est un peu de même pour le Québec. « On avait le sentiment que si personne d’autre ne faisait ce film, il n’allait jamais exister, me disait Simon Lavoie au Festival du nouveau cinéma. Donc, il fallait le faire nous-mêmes, peu importe ce que cela coûtait, sachant que ça serait lourd à porter. On a voulu délibérément choquer. » Lavoie et Denis évitent le piège de la prise de position politique ici, se penchant sur le questionnement identitaire québécois en ponctuant le récit d’extraits de plusieurs grands poètes (Hubert Aquin, Anne Hébert, etc). Un film sans compromis, dérangeant tant dans sa mise en scène que son propos, au rythme lent, aux silences pesants, où l’absence frappante de repères porte à la réflexion.

 


Nuit #1

Nuit #1, pour sa part, est beaucoup moins radical, mais son constat sur une Génération Y malheureuse est tout aussi puissant. Clara et Nikolaï se rencontrent dans un “rave” (oui, j’ignorais qu’on employait toujours le terme) puis reviennent dans son appartement miteux, pour donner le ton au film avec une scène de baise de 12 minutes sans pudeur aucune. Mais on n’apprend à connaître ces deux âmes perdues qu’une fois les ébats terminés, après que Clara ait tenté de s’éclipser en se faufilant hors de la chambre à coucher. Voilà qu’il la sermonne au pas de la porte, elle remonte, et les deux citadins en pleine crise existentielle se posent alors des questions difficiles et livrent des monologues révélateurs à propos de leur promiscuité, de leur incapacité à tisser de vrais liens avec d’autres, de littérature et de culture identitaire qui se perd, de l’absence de valeurs pour orienter leurs choix. Émond met en scène un huit clos par moments fascinant, parfois un peu affecté, mais toujours pertinent, qui détonne de la vague de films québécois (notamment En terrains connus, Le vendeur et Laurentie) qui disent beaucoup avec peu de mots. Pour Émond, ses monologues fort théâtraux ne prétendent pas au réalisme. « Ce que j’ai voulu dire, c’est qu’une grosse partie de notre génération, on a l’impression de vivre au bord d’un gouffre, économiquement, écologiquement, politiquement, à plusieurs niveaux, me disait Émond en octobre dernier. C’est quand même inquiétant de vivre dans notre société. Alors que nos parents étaient en train de construire des choses, je pense que nous, on se sent vraiment impuissants dans le monde dans lequel on vit.  Moi, je suis allé pour une histoire vraiment intimiste entre deux personnages, mais je pense qu’ils reflètent quand même une angoisse générationnelle. »

 

10
Starbuck
(Ken Scott)
Avec Patrick Huard, Antoine Bertrand, Julie LeBreton, David Michaël, David Giguère, Félix-Antoine Tremblay, Patrick Martin, Sarah-Jeanne Labrosse

Le personnage du loser irresponsable, de l’éternel adolescent dont la blonde tient les couilles bien fermement et semble prédestinée à son rôle de maman, a été exploité plus de fois qu’on ne le souhaiterait à la télé et au cinéma québécois. Vous comprendrez donc ma réticence initiale à l’histoire de David Wozniak (Huard), un quadragénaire bedonnant et maladroit, fils d’immigrants polonais, qui néglige trop souvent sa blonde policière et se contente d’un boulot de livreur à la boucherie de son père, jusqu’au jour où il apprend qu’il est le géniteur de 533 enfants (le fruit de nombreux dons de sperme à la fin des années 80).

Contre toute attente, Starbuck (le film québécois le plus populaire de l’année, si l’on ne s’en tient qu’aux recettes du Québec) se révèle au final drôle, touchant, doté d’un scénario bien ficelé et qui fait preuve de retenue aux bons moments (alors que d’autres auraient emprunté la voie de la blague facile et des gags trop appuyés). L’adulescent, très mauvais candidat à la paternité, bâcle son boulot, cumule les dettes aux criminels et fait pousser de la marijuana dans son appart pour payer ladite dette, mais révèle ses vraies couleurs lorsqu’il part à la découverte des 142 enfants (maintenant des ados en pleine crise) qui ont intenté un recours collectif pour invalider son anonymat. Le film comporte son lot de longueurs et de clichés (sa progéniture est droguée, handicapée, gothique), mais le film n’intéressera pas que vos mononcles et matantes. Le regard éclaté et parfois émouvant sur les familles reconstituées surprend, tout comme la belle brochette de jeunes talents à surveiller (dont David Michaël et David Giguère, dont nous avions parlé plus tôt cette année) et sa direction artistique bien originale. Avec tout le buzz qui court à propos d’un potentiel remake hollywoodien, il faut le voir avant qu’un studio américain ne mette en branle la grosse machine promotionnelle autour de ce qui ne sera fort probablement qu'une pâle copie.
 

11 autres films québécois qui ont valu le détour cette année :
Art/Crime
| Notre entrevue avec Frederick Maheux 
Courts métrages | Profils d’Albéric Aurtenèche, Sophie Dupuis, Nicolas Roy et Ian Lagarde 
Décharge | Notre critique du film | Notre entrevue avec Sophie Desmarais
Les États-Unis d’Afrique | Notre entrevue avec Yanick Létourneau 
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The High Cost of Living | Notre entrevue avec Zach Braff 
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