L’auteur Simon Boulerice réinvente son enfance et le quotidien avec ses contes urbains
Vanessa HauguelSimon Boulerice est un auteur, comédien, metteur en scène d’ici. En plus de ses pièces de théâtre Simon a toujours aimé danser (prix de la création Fringe 2007, solo de l'année LGBT 2007), Qu'est-ce qui reste de Marie-Stella? et Martine à la plage (2010), il a également récemment publié Nancy croit qu’on lui prépare une fête et Les cicatrisés de Saint-Sauvignac (Histoires de glissades d’eau). Dans ses contes urbains et ses recueils de poésie, on retrouve un univers familier, chargé d’un imaginaire collectif, mais bien distinct. Nous nous sommes entretenus avec lui de ses projets, de ses motivations et de sa façon de réinventer l’enfance et le quotidien, dans tout ce qu’il a de plus extraordinaire et banal.
Qu'est-ce qui a été l’élément déclencheur du projet collectif Les cicatrisés de Saint-Sauvignac?
C’est l’idée de Mathieu Handfield, un de mes amis. C’est lui le «grand» élément déclencheur (Mathieu est longiforme, alors l’adjectif est de mise). Il avait en tête cette histoire absurde et troublante d’une flopée d’enfants aux dos charcutés par la pointe d’un clou dans une glissade d’eau. Il a parlé de son idée à Sarah Berthiaume, Jean-Philippe Baril Guérard et moi, en nous demandant si nous voulions nous joindre à lui pour construire et raconter cette histoire. Il avait en tête de fragmenter le livre en quatre saisons (chaque auteur était en charge d’une saison), et nous invitait à créer le personnage que nous désirions. Notre amitié est au centre de ce projet littéraire. L’envie collective était d’écrire dans un état «d’urgence ludique», et de s’amuser à créer des ramifications entre nos histoires. L’unique contrainte: une langue rafraîchissante, jeune, et parlée.
Et rédiger à quatre, c'était comment pour toi? Comment la collaboration s’est-elle passée pour la création des Cicatrisés?
Le tout s’est fait dans une pure convivialité. On s’est vus peu de fois. On s’envoyait surtout nos textes en pleine évolution via le net. C’est Mathieu Handfield et l’éditeur de Ta Mère, Maxime Raymond, qui ont chapeauté tout le projet. On s’est rencontrés une seule fois pour brainstormer véritablement sur les ramifications qui allaient unir nos quatre histoires. C’était dans un resto chinois à deux pas du métro Place d’Armes, un endroit inspirant avec un énorme dragon doré aux yeux lumineux. Pendant ce repas surréel, on a repiqué les personnages des autres, et on s’est promis de les inclure dans nos propres histoires, avec un souhait d’unité. C’est grâce à ce repas que nos quatre «nouvelles» distinctes constituent un roman à quatre voix.
Avec le personnage de Nancy (dans Nancy croit qu’on lui prépare une fête), poses-tu regard nostalgique ou critique sur une certaine époque?
Je n’ai pas écrit en pensant à une époque précise. On me dit parfois qu’il s’en dégage une esthétique année 90, mais elle n’est pas intentionnelle. Nancy est simplement un personnage hanté par son passé de princesse du Red Lobster, avec ses bagues cheap puisées dans le coffre-fort de cadeaux du restaurent de fruits de mer. C’est la nostalgie de la vie familiale, plutôt. L’enfance, c’est le paradis perdu de Nancy.
Nancy, la vraie, celle qui te l’a inspirée, a-t-elle été sous le choc la première fois qu’elle a lu le recueil?
Nancy, c’est moi. Oui, ça fait un peu Flaubert, mon affaire. Quand j’ai lu le recueil terminé, je n’ai pas eu un trop gros choc, non. J’ai trouvé par contre que mon amie Sarah avait des belles jambes sur la jaquette du livre, et qu’en plissant un peu les yeux, je pouvais voir son slip foncé sous sa robe rose un peu trop diaphane (Sarah Berthiaume a gracieusement posé chez moi en train de sauter dans ma cuisine devant le kodak avisé de Jérémie Battaglia).
L’enfance, ou du moins, la fuite d’une réalité difficile à travers l’imaginaire d’un enfant, semble être un leitmotiv dans tes œuvres. Est-ce le cas et pourquoi ce «leitmotiv»?
L’enfance, c’est mon carburant, en fait. Tout ce que j’ai écrit depuis mes débuts a le sceau de mon enfance. «Créer, c’est toujours parler de son enfance», prétendait Genet. Quel que soit le public auquel je m’adresse (j’écris aussi pour les enfants et les ados), je le fais chargé de mon enfance. Écrire, c’est me souvenir. Et me souvenir, c’est mentir. Les souvenirs ont beau être précis, le temps les a parfois atrophiés, mais surtout hypertrophiés. Quand j’écris, je réinvente mon enfance. J’insuffle de la fiction à mon vécu. Je magnifie ma vie.
Il est vrai que mes personnages, enfants comme adultes, ont l’imaginaire fertile. Sans doute car l’imaginaire de ma jeunesse est pratiquement intact. J’ai le sentiment qu’à ce propos, je suis loin d’être le seul.
Sur quoi planches-tu en ce moment en France? Dis-nous en plus sur tes projets à venir, au théâtre et outre-mer…
En novembre dernier, j’ai bénéficié d’une résidence d’écriture à la Passerelle, un théâtre destiné au jeune public tout près de Mulhouse. J’y suis revenu en janvier 2012 pour achever la première version d’une pièce destinée aux petits de 4 à 7 ans, Tu vas avoir si froid. C’est nouveau pour moi, écrire pour ce groupe d’âge. Encore là, je pars d’un souvenir d’enfance: la montagne de manteaux sur le lit de mes grands-parents, les soirs de célébrations. Les différentes textures, l’odeur de la neige et du vent dans les manteaux humides. Une pièce très sensorielle. Puis, présentement, je suis en tournée en Alsace avec un solo pour les jeunes de 8 à 12 ans. Ça s’appelle Les Mains dans la gravelle.
En mars sera publié Martine à la plage, un roman illustré par le talentueux Luc Paradis, aux Éditions de la Mèche. Il s’agit d’une adaptation romanesque de ma pièce qui, par ailleurs, sera reprise en septembre prochain dans un théâtre montréalais plus ou moins près de chez vous. Finalement, parce que je suis en feu cette année, je lancerai un autre roman l’automne prochain, sur lequel je planche depuis un bon moment déjà. Je vais seulement dire que c’est en lien avec Cendrillon, et qu’on est à l’opposé des contes de fées…
Nancy croit qu’on lui prépare une fête, aux Éditions Poètes de Brousse
Les cicatrisés de Saint-Sauvignac (Histoires de glissades d’eau), aux Éditions de ta mère