Deux Montréalaises complètent «With This Ring», film très attendu sur la boxe féminine (et ses tabous) en Inde
Michael-Oliver HardingLes Jeux Olympiques de Londres ont présenté des combats de boxe féminine pour la toute première fois. Pour les jeunes réalisatrices montréalaises Anna Sarkissian et Ameesha Joshi, qui suivent de près l’équipe nationale de boxe féminine indienne depuis six ans, la compétition est venue couronner un long parcours. Mary Kom, l'une des personnages à l'avant-plan du documentaire With This Ring et la « poster child » de la boxe féminine en Inde, est devenue la 3e femme dans l’histoire du pays à remporter une médaille olympique.
« En ce moment, c’est une mégastar en Inde, affirme Sarkissian, de retour au Québec après avoir accompagné Kom à Liverpool et à Londres. Elle se fait harceler par les médias et inonder de caméras… Mais c’est vraiment un changement qui s’est fait du jour au lendemain. Ça reste à voir s'il y aura un impact à long terme et si ce phénomène va se répandre jusqu’aux autres boxeuses, en les aidant à obtenir une certaine reconnaissance. »
Mary Kom et sa médaille olympique
Un changement radical de cap car la boxe féminine en Inde était jusqu’à très récemment un sujet tabou, au sein d’une culture qui se préoccupe surtout des visages délicats, de la chevelure ravissante et des talents culinaires de la gent féminine, afin que parents ne présentent pas des filles « défigurées » aux hommes en mariage…
C’est justement le courage dont font preuve toutes ces boxeuses étoiles plutôt intrépides et résolument badass qui a retenu l’intérêt des deux amies documentaristes. Sarkissian et Joshi, qui ont obtenu au fil des ans toutes les bourses et subventions auxquelles elles étaient éligibles (Conseil des arts et lettres du Québec, le Filmmaker’s Assistance Program de l’ONF, Conseil des arts du Canada), ont lancé le mois dernier une campagne de financement en ligne afin de recueillir les 17 500 $ dont elles ont besoin pour compléter la postprod de leur projet 100% indépendant (sans parler d’un minimum de 4 000 $ pour les droits d’images du combat de Mary aux Olympiques). Il leur reste moins de deux jours et à peu près 2 000 $ à recueillir pour atteindre leur objectif !
Sarkissian et Joshi espèrent boucler With This Ring à temps pour le soumettre au Festival international du film de Goa, la plus importante manifestation cinématographique en Inde, qui a lieu du 20 au 30 novembre. Entre-temps, Anna Sarkissian a répondu aux questions de Nightlife.ca.
Nightlife.ca: Quelle est l’origine de cette aventure ? Comment vous êtes-vous intéressées à la condition des boxeuses en Inde ?
Sarkissian: Ameesha est allée à l’expo World Press Photo au Parisian Laundry en 2004 ou 2005 et elle a été frappée par l’image de boxeuses à l’œuvre sur une plage indienne. En tenant compte de l’héritage de ses parents, elle s’est demandée comment ces femmes y arrivaient, compte tenu de la stigmatisation des femmes qui font des boulots plus souvent associés aux hommes. En faisant un peu de recherche, elle a vite découvert qu’elles étaient non seulement des boxeuses indiennes, mais qu’elles figuraient parmi les meilleures au monde. Elle m’a dit qu’il y avait là de quoi faire un film, et j’ai tout de suite embarqué. L’idée de raconter l’histoire de femmes qui ne se soucient pas d’être marginalisées, qui se coupent les cheveux très courts, portent des shorts et encaissent des critiques sexistes et acerbes chaque jour afin de vivre leur passion, m’emballait énormément.
Depuis que vous vous êtes lancées dans ce projet, as-tu constaté un progrès dans l’ouverture des Indiens à l’égard de femmes boxeuses ?
Dès que la boxe féminine est devenu un sport olympique, il y a eu un changement de cap. Tout d’un coup, les gens se sont intéressés à Mary Kom et se sont mis à l’encourager, même si elle avait déjà remporté cinq championnats mondiaux. En Inde, les Olympiques, comme toute autre forme de reconnaissance internationale, sont très prisés. Pour te donner un exemple, ils sont obsédés avec le Livre Guinness des Records. Un jeune de 12 ans a pratiqué une césarienne afin de se qualifier pour le Livre Guinness… Ils sont prêts à faire l’impossible afin de gagner des titres et un prestige international. Mais pour une raison quelconque, les championnats mondiaux semblent échapper à cette règle… (rires)
Qu’espérais-tu filmer aux Olympiques ? Quel était l’objectif de ton ultime voyage outre-mer avant de compléter le film ?
Nous devions filmer Mary sous les feux de la rampe pour la toute première fois. Notre film conclut avec les Jeux Olympiques et nous devions montrer comment Mary gère le stress et se prépare pour la compétition. La prochaine étape sera de recueillir des extraits de Mary se faisant accueillir en vraie star à son retour de Londres. Nous avons suivi la couverture médiatique et je peux te dire que ce fut le chaos total à l’aéroport ! (voir vidéo ci-dessous)
Tu as passé plusieurs jours avec Mary à Liverpool, où elle s’entraînait dans un gym privé, avant de la revoir à Londres, quelques instants après qu’on lui ait remis sa médaille de bronze. Espérais-tu à tout prix qu’elle remporte une médaille ?
Bien sûr, parce qu’on sait pertinemment à quel point elle a bûché pour se rendre jusque là ces dernières années et à quel point elle le mérite. Je ne voulais pas qu’elle gagne pour notre film, ça n’avait vraiment rien à voir. Et je dois avouer avoir été beaucoup plus anxieuse qu’elle ! C’était ma première expérience olympique et mes mains tremblaient pendant que je regardais le combat… Elle devait avoir tellement de pression sur les épaules ! Mais elle était vraiment préparée; elle entrait dans le ring dans la meilleure forme physique de sa vie.
Vous tenez à ce que le film soit complété très rapidement. J’imagine que l’engouement soudain pour Mary dans son pays d’origine y est pour quelque chose ?
Nous savions que cette frénésie aurait lieu. Nous n’étions définitivement pas surprises qu’elle retienne toute l’attention médiatique du pays, parce nous savons comment les Indiens réagissent aux médailles. Nous étions là en 2008 lorsqu’un boxeur mâle a récolté une médaille, et il est devenu une célébrité adulée des médias du jour au lendemain. Mais nous voulons justement compléter le film rapidement parce qu’il y a beaucoup d’intérêt pour la boxe en ce moment, ce qui pourrait aider notre film à être diffusé largement en Inde. C’est l’endroit où nous voulons vraiment que le film soit vu, où il a la chance d’avoir le plus d’impact.
Et quel serait cet impact, au juste ?
Notre but ultime est de faire évoluer les mentalités, la façon dont les boxeuses sont perçues en Inde. Le pays devrait constater tout ce que ces femmes ont accompli. Plusieurs d’entre elles sont à veille de prendre leur retraite et elles ont vraiment échappé à l’attention du public au cours des derniers dix ans. Nous voulons que les Indiens les découvrent, car elles sont des femmes incroyables et inspirantes.
With This Ring
La campagne de levée de fonds sur Indiegogo, avec bande-annonce: indiegogo.com/withthisring