On a le même problème depuis des années. Vers la fin des 80s, early 90s, n'importe laquelle des vedettes du moment s'imaginait pouvoir faire du rap alors qu'il en était à ses premières respirations. Aujourd'hui, les choses ont quelque peu changé, on laisse le micro à ceux qui s'y spécialisent, mais encore, le non-initié pourra au moment opportun s'octroyer confortablement la charge de juger de la qualité d'un artiste hip-hop.
Si j'parle de ça maintenant, c'est qu'un rappeur vient de remporter la grande finale du 44e Festival international de la chanson de Granby. Et non, il ne s'agit pas d'un Koriass, Manu Militari, Maybe Watson ou Aspect Mendoza, tiens. On parle plutôt d'un Rod le Stod, illustre inconnu au sein du mouvement hip-hop. Pas mauvais pour autant, pas près de se démarquer non plus. Correct, sans plus.
C'est rarement un hasard si quelqu'un n'est pas connu du milieu. La plupart du temps, c'est qu'il a préféré bypass les standards de qualité érigés par l'écosystème existant. Un écosystème défaillant, certes, mais en constante évolution et qui normalement pousse ses principaux acteurs à s'accroître et finit inéluctablement par mettre le spotlight sur les bonnes personnes. Et il n'est pas très regardant en terme de variété, cedit système. Tous les goûts y sont admis, malgré une présence certaine de puristes qui auscultent faits et gestes, qui se ravisent quand on leur donne tort.
C'est principalement au niveau de la qualité des textes que ses artisans sont unanimes. L'effort et la recherche priment. L'auteur doit systématiquement s'adonner à une période de veille avant d'entamer quoi que ce soit. Procéder par élimination de façon à méticuleusement mettre le doigt sur le mot juste. Se démarquer du commun des mortels. La curiosité et la remise en doute paient.
Le rapport qu'a le non-initié avec le rap québécois devient donc problématique quand vient le temps de lui faire comprendre que ses préférences ne riment pas forcément avec qualité. C'est de faire preuve d'ingratitude que de s'imaginer que la division rap de la culture hip-hop, contrairement à tout autre domaine qui se respecte, se voudrait sans filtre, sans barème. Bien au contraire, ses faux pas sont à ce point nombreux qu'il y en aurait suffisamment pour faire paraître une trilogie littéraire à son sujet.
Cette incompréhension du sujet lorsqu'abordé donne l'impression qu'on se situe à des années-lumière de notre interlocuteur. Pourtant, est-ce qu'on décernerait un prix au designer qui amalgamerait Lens Flare et Comic Sans? Au guitariste qui s'en remetterait à quelques riffs de Bro Hymn Tribute? À l'humoriste qui nous ramènerait des jokes de newfies? Et à la chanteuse qui fausserait plusieurs notes? À moins de réinventer, j'en doute fort. Pourquoi est-ce qu'on s'entête alors à nier l'existence de différents calibres de rappeurs? Ce faisant, on contribue considérablement à un nivellement par le bas constant.
Visiblement, le jury du Festival international de la chanson de Granby loge à quelques pas du néant en ce qui a trait aux critères d'évaluation du rap et jette dans la gueule du loup un autre MC qui aura réussi à contourner le filtre. Et bien évidemment, on trouvera le moyen de le défendre avec la carte de la jalousie, du « Essaie-donc de faire mieux si t'es si bon que ça » et des goûts qui ne se discutent pas. Rien de très étranger au domaine du rap québ.
Je vous déteste.