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Mars et Avril: romance cosmique dans un Montréal futuriste où téléportation et disques vinyles co-existent

On dit que c’est le premier film de science-fiction québécois. C’est sans contredit le plus ambitieux. Réalisé par Martin Villeneuve, qui a élaboré la signature visuelle du film avec le réputé bédéiste François Schuiten, Mars et Avril met en vedette de grosses pointures telles Robert Lepage, Caroline Dhavernas, Jacques Languirand et Paul Ahmarani.

Mars et Avril, qui ouvre la section Focus du Festival du Nouveau Cinéma ce soir, est un véritable ovni – c’est le cas de le dire! – dans la cinématographie québécoise, même si on n’y rencontre aucun Alien ou Dernier restaurant avant la fin du monde. Se déroulant dans un Montréal futuriste analogique et vintage où téléportation et disques vinyles co-existent, ayant comme trame de fond la conquête de la planète Mars et une histoire d’amour entre une jeune femme et un vieil homme, le film n’a rien de l’œuvre de science-fiction «classique» à la Star Wars.

Inspiré du photo-roman Mars et Avril (publié en deux tomes, en 2001 et 2006), le film emprunte à l’esthétique rétro-futuriste et doit d’ailleurs sa facture visuelle unique au père du genre, le bédéiste François Schuiten (The Golden Compass), qui a accepté de collaborer à l’aventure.

«Ensemble, nous avons décidé de créer le futur qu’on avait envie de voir à l’écran. Nous sommes partis du noyau de la création, soit le jeune et le vieux qui se rencontrent, en prenant des éléments du passé et en les projetant dans l’avenir», explique Villeneuve, qui signe ici son premier film. Fidèle à la thématique vintage du film, la trame sonore de Benoît Charest (Les Triplettes de Belleville) sera même disponible en vinyle.

Loin des guerres intergalactiques, Mars et Avril est empreint de poésie, d’onirisme et se déroule dans un univers où conquête amoureuse et spatiale ont des résonances. «C’est un trip onirique, mythologique même, une espèce de fable du futur qui parle de rêve, de désir, d’amour, d’art, de voyage à l’intérieur de soi», constate Paul Ahmarani, qui interprète un concepteur d’instruments.

 

Des embûches et des hommes
Tout a commencé dans les années 90, alors qu’un récit prend vie dans la tête de Martin Villeneuve (oui, il est le petit frère de Denis Villeneuve): celle d’une histoire d’amour, sur fond de conquête spatiale de la planète Mars, entre Avril (Dhavernas), une jeune photographe asthmatique et Jacob Obus (Languirand), un musicien septuagénaire au souffle long qui fait craquer les filles. Autour du couple gravitent Arthur (Ahmarani), ami de Jacob, qui conçoit ses instruments aux courbes féminines, lui aussi amoureux d’Avril, et le père de ce dernier, Eugène Spaak (Lepage), inventeur et cosmologue.

Mais entre le photo-roman et la réalisation du film, il y avait un pas, ou plutôt, un immense ravin à franchir. Un long périple de sept ans, qui a bien failli ne jamais aboutir: fermeture de la boîte de production de Robert Lepage qui avait d’abord chapeauté le projet, manque d’argent, défis techniques…

«Au départ, j’étais très naïf… J’ai une tête de cochon et je voulais faire ce projet. Évidemment, j’ai fini par frapper un mur et il a fallu trouver comment le traverser. Heureusement, j’étais bien entouré, notamment par Robert Lepage, qui n’a jamais lâché le projet. On a dû être inventif parce que si j’avais attendu après les 20 millions que ce film-là aurait coûté, je ne l’aurais jamais fait !», constate Villeneuve.

Pour donner vie aux instruments à courbes féminines de Jacob Obus, Villeneuve a fait «commanditer» la conception de ces derniers par le Cirque du Soleil: «Le budget dont j’aurais eu besoin pour les instruments équivalait à celui du film au complet! Je devais donc trouver un acheteur d’art intéressé à passer une commande à un artiste. J’ai proposé cette idée à Guy Laliberté, qui a accepté, et c’est le sculpteur Dominique Engel qui les a faits», précise le réalisateur.

Autre écueil: dû à un changement dans les dates de tournage, Lepage a failli ne pas pouvoir participer au film. Ce dernier imagine alors un Eugène Spaak «virtuel», à la tête en hologramme… et réécrit son scénario. La tête de Lepage a ainsi pu être filmée à part alors que, durant le tournage, c’est le comédien Jean Asselin qui a joué le corps du scientifique.

La résilience du réalisateur a porté fruit. Un véritable tour de force, constate Paul Ahmarani: «Martin n’a jamais lâché; c’est un doer qui transforme tous les écueils en opportunité.»

 

Triangle amoureux cosmique
Au centre du récit, une histoire qui aurait pu se dérouler autant hier que demain: celle d’un amour qui fait fi du temps et de l’espace entre Avril et Jacob. «Le gros défi du film, bien plus que les effets visuels, c’était qu’une chimie véritable opère entre les deux acteurs, qu’on puisse y croire», souligne Villeneuve.

Un pari délicat qui repose grandement sur une scène de nu, primordiale pour le réalisateur: «C’est risqué, mais en même temps, c’est évident que ce n’est pas avec le corps de Jacob qu’Avril tombe en amour, mais avec son énergie, son souffle. C’est là que ça devient touchant.»

Mais Arthur, grand ami de Jacob, tombe aussi amoureux d’Avril, alors qu’Avril entretient une relation ambiguë avec Arthur. Bref, un triangle amoureux classique, où Arthur tentera de dissuader son ami de revoir Avril: «Arthur est contradictoire, un peu comme un ado: il aime son ami, mais le manipule malhonnêtement; il est charmé par Avril mais, en même temps, il ne sait pas aimer, il est tout croche; il déteste son père mais a besoin de lui… Et je ne sais pas si tu connais la difficulté d’avoir un père hologramme mais c’est pas facile à tous les jours, je le sais, j’en ai un!», blague l’acteur qui arbore une superbe (!) perruque à la Robert Smith dans le film. «À cause de ça, j’avais des tounes de The Cure dans la tête durant tout le tournage!», rigole-t-il.

Effets spéciaux obligent, une grande partie du film a été tournée sur écran vert, une façon de faire qui n’a pas trop semblé déranger Ahmarani: «Pour les acteurs de théâtre, le cinéma est un vrai luxe où tu n’as pas besoin de faire abstraction de rien. L’écran vert me faisait un peu penser à du théâtre, où tu sais en maudit que tu n’es pas dans la vraie vie, dit celui qu’on pourra voir dans La danse de mort au Prospero en novembre. Par contre, après douze heures, le vert, t’es pu capable, ça donne mal au cœur!» Gageons qu’il ne peindra pas sa cuisine en vert, celui-là…

 

Mars et Avril
Présenté au FNC le 11 octobre à 18h30 | Cinéma Impérial
À l'affiche dès le 12 octobre

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