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L’auteure prolifique Fanny Britt nous parle d’ambulances, de bonté et de Jane Eyre

Prolifique est un terme qui décrit bien la jeune mais remplie carrière de l’auteure Fanny Britt. En plus d’une dizaine de pièces à son actif, elle écrit du théâtre jeunesse et des dialogues pour l’émission Tactik, a traduit des dizaines de pièces du répertoire anglo-saxon, collabore à l’écriture d’un long métrage et publiera dans quelques semaines son premier roman graphique aux Éditions de La Pastèque.

Prolifique, certes, mais aussi angoissée, avoue la Montréalaise d’adoption née en Abitibi. «L’écriture est angoissante pour moi et l’arrivée sur scène décuple cette angoisse. Parce que je veux être aimée par les gens qui montent la pièce, qui passent leur temps dans mes mots, mais aussi par le public. Pourquoi moi, je serais plus intéressante qu’une autre? Pourquoi moi, j’aurais une tribune? J’ai toujours cette impression de ne pas être à ma place ou à la hauteur de la situation…»

Ces temps-ci, l’Espace Go présente Bienveillance, sa toute dernière pièce, créée à l’initiative du metteur en scène Claude Poissant et des acteurs Patrice Dubois et Dany Michaud, surnommés les «Frères Laforest» depuis qu’ils ont joué dans une pièce du même nom. Une création qui s’est déroulée de manière un peu particulière, explique l’auteure: «Lorsqu’ils m’ont approché pour leur projet, l’idée me plaisait, mais j’étais très fatiguée. J’étais en train de travailler sur mon dernier show, Chaque jour, qui était un spectacle sombre et une création difficile pour moi. J’avais de la misère à me projeter dans un autre projet», confie-t-elle.

Le trio composé de Dubois, Michaud et Poissant – qui connaît Fanny Britt depuis qu’il a mis en scène sa toute première pièce, Honey Pie, sur l’univers des danseuses nues, à sa sortie du Conservatoire en 2003 – a donc proposé une aventure inusitée à Britt: chaque semaine, elle avait rendez-vous avec l’un ou l’autre, ou plus d’un, pour une rencontre où il était permis de parler de tout sauf d’une chose: la pièce à venir.

 

Bonté et bonnes intentions…
«On a fait des promenades un peu partout dans la ville: à l’Oratoire Saint-Joseph, dans les quartiers riches de Westmount, même dans un hôpital… Très rapidement, je me suis sentie très nourrie par ces gars-là et leurs histoires. On a beaucoup parlé de nos familles, de nos origines. Ils ont vraiment rallumé une étincelle en proposant cette façon de travailler», constate-t-elle.

De là est né Bienveillance, dans un processus très organique. Bienveillance, c’est le nom du petit village où est né le narrateur, Gilles Jean, aujourd’hui avocat bien nanti, solitaire et matérialiste, vivant à Westmount. La bienveillance, c’est aussi un questionnement central de la pièce: est-ce possible d’être bon, bienveillant pour ceux qui nous entourent? Ou cette intention n’est-elle justement qu’une intention, impossible à accomplir?

C’est le débat auquel est confronté Gilles Jean, lucide dans son égoïsme, alors qu’il retourne dans son patelin natal pour retrouver son ami d’enfance, Bruno, un être foncièrement bon et naïf. Le fils de sa blonde a eu un bête accident, et c’est un peu de sa faute. Mais l’ambulance a mis tellement de temps à arriver, à cause d’une erreur faite par la compagnie qui s’occupe de la répartition d’appels, que le petit Zachary est maintenant dans le coma. Bruno et sa blonde engagent donc une poursuite contre la compagnie.

Une situation inspirée d’un fait divers que l’auteure a lu dans un journal local en Estrie, où elle a un chalet: «L’article parlait d’un appel au 911 auquel on n’avait pas eu le temps de répondre car les centres d’appels pour les ambulances avaient été délocalisés en banlieue de Montréal. Je trouvais ça épouvantable l’injustice qui fait que lorsqu’on vit en milieu éloigné, on n’a pas droit aux mêmes services.»

Le hic, c’est que Gilles représente ladite compagnie en tant qu’avocat. Et devra battre son ami en cour. Personnage a priori coupé de ses émotions, il se questionne sur la possibilité même pour lui d’être bon et de poser le «bon» geste, comme abandonner la cause. «Entre la bonté et moi, il y a une autoroute de campagne devant un verger. Vouloir être bon, c’est vouloir atteindre un pommier pour cueillir une pomme alors que je suis de l’autre côté de l’autoroute», répète le personnage à quelques reprises dans la pièce.

«Dans cette vision, la bonté est ce jardin parfait, mais situé de l’autre côté d’une route remplie de chars, très difficile à traverser. Est-ce qu’il en tient juste à nous de l’atteindre, de prendre le risque de nous exposer à notre vulnérabilité, comme c’est le cas pour Gilles, ou bien anyway on va se faire frapper par un char? La pièce pose cette question», résume l’auteure.

 


Bienveillance // Crédit Jeremie Battaglia
 

Un peu de lumière…
Souvent désignée comme l’auteure des jeunes trentenaires désabusés, maganés par la vie, au langage cru qui fesse fort, Fanny Britt expose un côté plus tendre, lumineux dans Bienveillance… même si elle a toujours ce côté décapant et cynique: «Je crois qu’on est beaucoup à porter, comme Gilles, cette dualité; d’un côté, une carapace de pessimisme, de bitchage et de détachement par rapport aux «bons» sentiments, mais en dessous de ça, un désespoir d’être aimé, un désarroi et beaucoup de vulnérabilité. J’aime jouer avec la dualité que je vois dans le personnage, mais aussi en moi. On est tous un peu des monstres!»

Un nouveau cycle se pointerait-il à l’horizon? Peut-être bien, croit et espère la mère de deux enfants, qui constate aussi ce côté plus lumineux dans son premier roman graphique, Jane, le renard et moi, à paraître aux Éditions de La Pastèque en novembre. «Ce livre est nourri un peu du même esprit que Bienveillance, toujours un brin cynique et sombre, mais avec des zones de lumière et d’espoir qui sont plus nouvelles dans mon écriture. C’est peut-être une nouvelle voie.»


Couverture de Jane, le renard & moi d'Isabelle Arsenault et Fanny Britt

Inspiré de ce qui est arrivé à l’auteure lorsqu’elle était enfant, le livre raconte l’histoire d’une jeune fille rejetée par ses amis et qui trouvera un nouveau souffle à sa vie à travers le roman Jane Eyre de Charlotte Brontë. «C’est une oeuvre victorienne qui m’a un peu sauvée dans ces années-là de mon enfance, car je me projetais beaucoup dans ce personnage d’une fille très forte. Jane Eyre ne s’en sort pas parce qu’elle devient conforme à ce que la société attend d’elle, mais parce qu’elle assume son intellect, ses idées. Je trouve ça vraiment plus inspirant que les films américains d’école secondaire où le salut de la fille weird et rejet passe par la conformité et le foutu makeover

 

Bienveillance
Jusqu'au 27 octobre
Espace GO | 4890, boul. Saint-Laurent | espacego.com

Jane, le renard et moi
Publié en novembre aux Éditions de la Pastèque | lapasteque.com

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