Gros Méné n’a peut-être pas fracassé les palmarès avec Tue ce drum Pierre Bouchard, son premier album lancé en 1999. Mais l’éphémère combo blues trash n’en a pas moins laissé une trace indélébile. À commencer dans les carrières de ses membres.
Fred Fortin, son chef spirituel, s’en est servi comme canevas pour concevoir son deuxième album solo, le décisif Le Plancher des vaches, en 2000. Le guitariste Olivier Langevin a fondé Galaxie 500 (depuis devenu Galaxie) largement à son image. Puis, rien de moins qu’une vague de stoner-rock bien «queb» a déferlé dans le sillage de Gros Méné. Plusieurs n’ont fait que passer (Tremblay 73, Placard, Absolu…). D’autres sont restés (Les Dales Hawerchuk).
Fortin et Langevin, entretemps, sont passés à autre chose et Gros Méné s’en est retourné au fond du lac (Saint-Jean). Jusqu’en août dernier, quand, alors qu’on ne s’y attendait plus du tout, la sortie de l’album Agnus Dei a été annoncée pour cette semaine.
Assis dans un café, à peine remis du vol d’une basse qui lui était chère, Fred raconte comment il a décidé de remettre la machine en marche. «J’ai senti l’appel en moi. C’est un genre de lignée qui fait partie de moi. J’avais le goût de faire un album de miouze poussée, de ramener la musique à sa place. J’ai rien pantoute contre ce qui se fait en ce moment, mais des fois, ça a tendance à se standardiser. Toute vient qu'à aller dans une même direction, que ça soit la vague indie ou autre… Je cherchais un autre vaisseau.»
«Je sortais de Plastrer la lune (NDLR Le plus récent album solo de Fred, paru en 2009). Mes albums en solo sont quand même assez durs à faire parce que je fais pas mal tout moi-même. J’avais le goût de faire de quoi qui se passait le plus vite possible, où t’as pas le temps d’enculer des mouches. Des fois, des tounes compliquées à jouer, j’aime ça, parce que ça m’amène à progresser comme musicien, mais y’a des pièges là-dedans. Dans Gros Méné, je joue et je fais la technique en même temps. C’est plus approximatif. Ça avance tant que ça peut, mais des fois, la version, c'est ça.»
Au départ, l'idée n’était pas nécessairement de ressusciter Gros Méné. «Je voulais faire de quoi de fucked up. J’étais comme inspiré par Gris-Gris, de Dr. John, un album des années soixante où il se prend pour un zoulou. C’était un projet funky et psychédélique. Peut-être que je m’en allais avec des brass, ou je savais pas trop quoi. Je voulais faire de quoi qui détonnait. Ça a donné un peu les premiers grooves de c’t’album-là. L’an passé, chu retourné au chalet (NDLR Au Lac, bien sûr, là où Fred enregistre tous ses albums) pour le festival du Coup de grâce de Saint-Prime. J’ai fait 4-5 nouveaux riffs. Là, j’ai fait: "ouin, ça, c’est du Gros Méné!"»
Sauf une fois au chalet
De Tue ce drum Pierre Bouchard, on a retenu le ton et le son trash, mais à la base, Gros Méné se voulait un projet expérimental. C’est avec Bernard Falaise et Pierre Tanguay, deux sommités de la musique actuelle québécoise, que Fred a démarré l’aventure.
«J'avais sorti mon premier disque et je venais de retourner au Lac. J'avais envie de me faire un orchestre local. J'ai commencé à faire des riffs, à taper des tounes. À un moment donné René Lussier et Pierre Tanguay m'ont appelé pour partir un projet. J'ai dit: "j'ai peut-être des riffs qu'on pourrait monter". On a monté des tounes et on a fait un show à Saint-Félicien. Le seul et unique de cette formation-là! Eux autres pouvaient pas continuer parce qu'ils travaillaient sur plusieurs projets, mais rendu là, les tounes avaient pris forme et moi je voulais pousser ça un peu plus, faque j'ai commencé à taper l'album avec Langevin».
Agnus Dei a été attaqué avec des visées aventureuses similaires. «J'ai fait des trios, pas mal. J'ai construit les tounes et après ça, je les ai amenées aux gars, que ça soit Olivier et Pierre (Fortin, batterie, également des Dales Hawerchuk et de Galaxie), ou encore Robbie Kuster (Patrick Watson) et Jocelyn Tellier (Dumas, etc.). Sur l'album, y'a toutes sortes de formations comme ça».
Cela dit, pour citer la vieille chanson éponyme de Gros Méné, «c'est encore le party pour tous ces Olivier». Autrement dit: la rumba était encore de rigueur au chalet. «C’était vraiment: on joue live, on monte la toune dans la journée, on se fait une bouffe, on se met ben chauds, on pense qu’on est p'us capables, mais à minuit, une heure, la cut se fait!»
Treize ans quand même
Gras à souhait, certes plus lourd que Fred Fortin en solo et le Galaxie des dernières années, Agnus Dei marque bel et bien un retour à la facture débraillée, échevelée de Tue ce drum Pierre Bouchard. Mais l’esprit n’est pas tout à fait le même. Fred confirme. «C'est sûr, y'a des années entre les deux! Pour moi, c'est une suite, y'a plusieurs paramètres qui font que ça se rejoint, que ça soit dans l'écriture des tounes ou dans la façon de faire. Mais c'est sûr qu'entre les deux, t'écoutes d'autres musiques. Cet album-là est peut-être plus vite, moins stoner. Sauf peut-être "Monstre marin", à la fin. Dans le temps de Tue ce drum Pierre Bouchard, j'écoutais les Melvins, Jon Spencer… Là, c'est peut-être plus ZZ Top. Plus classic rock, là. Plus rock-Texas-motté.»
Pierre qui roule
Mais qui est Pierre Bouchard, au juste? «Pierre jouait dans Les Parasites. C’est un des premiers bands du Lac qui s’est installé à Montréal, à la même époque que Voïvod. C’était plus punk-rock. Quand j’étais kid, c’était une légende au Lac! Il a joué avec Les Taches, aussi, avec Leloup, un peu, et aussi sur le premier album de Mara. À un moment donné, il est revenu au Lac pis j’ai commencé à jouer avec. On jouait souvent du rock & roll avec lui pis mon pére.»
«Il jouait sur le premier album et il joue sur une couple de tounes du nouveau. J'ai été le chercher. J'ai fait exprès. Je me disais: "faut que je l'implique dans l'histoire!" L'agnus dei, finalement, c'est lui! Je raconte son sacrifice: comment il s'est donné pour le rock pour ensuite virer sénile comme Syd Barrett.»
Vraiment? «Non. (rires) J'aime ça, dire des niaiseries à son sujet. C'est comme "Tue ce drum Pierre Bouchard": j'avais écrit cette toune-là le matin, pis il est arrivé chez nous l'après-midi. Je lui ai dit: "je t'ai écrit une toune!" Et pis en montant la toune: "on va appeler l'album de même!" C'est un gars ben low profile, Pierre. Y'est un p'tit peu gêné.»
«Gros Méné, c'est comme un culte. Et c'est Pierre Bouchard le prophète!»
Gros Méné
6 novembre | La Tulipe (dans le cadre du Coup de cœur francophone)
4530, Papineau
grosmene.bandcamp.com