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Le Détesteur: la démocratisation du savoir pour de vrai
Crédit: J'étais en maternelle quand mes professeurs ont demandé à mes parents de modérer un peu sur l'apprentissage de fin d'semaine. Et c'est en première année du primaire, la première fois qu'on leur a indiqué que j'étais probablement un jeune prodige. Alors que mes camarades apprenaient à développer, lentement mais sûrement, leur conscience phonologique, moi, je terminais la lecture de mon premier roman jeunesse. Mon enseignante se plaisait à me prendre sous son aile, dans son nouveau rôle de mentor improvisé.

J'étais en maternelle quand mes professeurs ont demandé à mes parents de modérer un peu sur l'apprentissage de fin d'semaine. Et c'est en première année du primaire, la première fois qu'on leur a indiqué que j'étais probablement un jeune prodige. Alors que mes camarades apprenaient à développer, lentement mais sûrement, leur conscience phonologique, moi, je terminais la lecture de mon premier roman jeunesse. Mon enseignante se plaisait à me prendre sous son aile, dans son nouveau rôle de mentor improvisé.

C'était la seule et dernière année qu'on m'a pris pour un génie, parce qu'après, mon potentiel a stagné. Pis au secondaire, ça a dégringolé SOLIDE. Une moyenne générale de 38: c'est comme ça que j'ai doublé ma première année du secondaire. De quoi faire honte à ceux qui m'avaient déjà imaginé président des États-Unis. Le jeune phénix de 6 ans n'était plus qu'un vague souvenir de mon existence, au point où je préférais prétendre que je l'avais rêvé. C'est en sortant de l'école secondaire que je me suis élaboré un bilan, qui, je l'espérais, allait me révéler ce qui s'était exactement produit pour que j'en sois arrivé là.

J'avais finalement compris. Comme je suis de type hyper-rationnel/analytique et TDAH, j'ai besoin qu'on soit super limpide et qu'on aille au fond des choses. Qu'on m'explique pourquoi je dois le faire et pas "Fais-le!" parce que c'est comme ça. Et je doute énormément. Ce qui a pour effet que, tout ce qui m'apparaît comme trop évident, est systématiquement éradiqué de mon cerveau dans une situation où d'autres gens semblent s'évertuer à trouver la solution. Et c'est pire encore si pour leur faciliter la tâche, le prof impose le recours à l'aide-mémoire. J'en viens à me dire qu'il est impossible que je comprenne plus vite que les autres, alors que c'est pourtant bien le cas.

C'est-à-dire: «Les si n'aiment pas les rais» m'embrouillait complètement, puisqu'il m'était inutile et superflu, alors qu'au contraire, on me le présentait comme une règle cruciale, comme si le coeur de la matière tournait autour de lui. Donc voilà. J'avais l'habitude de m'écraser et d'abandonner. De me voir plus idiot que le plus idiot, qui lui, avait finalement trouvé la réponse, alors que moi, je croyais ne rien avoir saisi. Ma nouvelle vocation à l'école: divertir les gens, puisque de toute façon, j'avais mis mon éducation sur pause, conscient qu'un jour, je la reprendrais à ma manière.

Toutes ces années de banc d'école à ne pas vouloir retarder le groupe, à ne pas exiger qu'on s'adapte à moi, à m'efforcer de m'adapter à des programmes qui n'étaient pas conçus pour moi, sans poser de questions. Ouf. Quelques années après le secondaire, je sentais que le jeune prodige en profond coma signalait son intention d'être ranimé, et cette fois, avec l'autodidactisme pour école, sans crainte de déranger personne. Les bibliothèques n'ont jamais senti aussi bon. J'ai lu énormément et n'ai jamais cessé d'écrire. Je suis devenu pigiste pour mieux gérer mon temps, apprendre et rattraper incessamment ce temps de post-secondaire perdu et me délivrer de cette mystification de l'écosystème des cégep et universités que je n'ai jamais connu. (Notons tout de même mon passage au Collège Salette)

Oh, mais je n'en suis pas complexé pour autant, bien au contraire.

Mon cheminement m'aura quand même permis de bien comprendre les deux pôles disparates (intellectuels VS laissés-pour-compte) et de remettre solidement à leur place les universitaires qui se la prétendent intellos en jetant un regard hautain sur les personnes en difficulté d'apprentissage. Et à chaque fois qu'on se moque d'un individu qui n'a jamais entendu parler de Camus ou Nietzsche, l'amertume s'empare de moi. À nos yeux, ils sont peut-être bien élémentaires, mais quant aux peu (ou pas) initiés, ils ne peuvent deviner l'existence de ces auteurs, alors qu'ils nagent dans le non-savoir depuis des lustres. Quand on sait pas, on sait pas. Et ce savoir, il m'a toujours paru quasi-exclusif aux institutions scolaires, dans lesquelles on se tire vers le haut, et où on retourne rarement en bas pour répandre la bonne nouvelle, comme quoi y'a un peu d'espoir, par ici.

À l'ère du web, du partage et des nouvelles technologies, on n'a plus d'excuses. On devrait enrichir les curieux qui démontrent cette volonté d'apprendre plutôt que de se nourrir de leur ignorance pour s'avantager, et ensuite espérer fallacieusement, sans faire le moindre effort, que le commun des mortels s'épanouisse intellectuellement. Dévoilons en toute humilité les bouquins qu'on a dévorés au lieu de camoufler ceux qui nous ont échappé, par crainte de déshonneur. Madame Bovary pour tous.

Je vous déteste.

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