C'est pas très rare que des filles, des inconnues souvent, viennent me voir sur Facebook pour m'avouer qu'un de leurs amis gars insiste fermement pour qu'elles arrêtent de «liker» mes statuts/textes et/ou de me parler si c'est l'cas. Des gars que je n'ai jamais vus et dont je n'ai jamais entendu parler.
Bon ok, assez flatteur pour l'égo de savoir qu'elles préfèrent passer par dessus leur amitié pour venir m'en faire part comme ça, et surtout, que des random dudes, probablement coincés dans la friendzone depuis des lustres, se sentent en quelque sorte menacés par je-ne-sais-quoi.
Flatteur, mais surtout pathétique. Mais j'suis pas mieux. De mon côté, j'peux parler des heures contre des gens que je n'ai jamais rencontrés. En fait, quand j'vais prendre un verre, 45% de mes conversations tournent autour du web. Et dire qu'entre 1997 et 2004, on était encore pourvus de ce blocage, cette gêne qui nous permettait un certain recul, si on prenait trop plaisir à transposer notre univers virtuel dans la vie de tous les jours. Des fois j'me dis que c'était mieux comme ça, quand on se sentait cons d'le faire. On n'est pas moins cons aujourd'hui, c'est seulement qu'on a démocratisé l'malaise.
J'suis à un point dans ma vie où je commence franchement à détester notre époque. J'aimerais qu'on s'arrête. Je n'en peux plus, quand je sors de chez moi, de voir de jeunes adultes s'improviser vedettes, parce qu'ils savent qu'ils le deviendront probablement, en droppant une vidéo d'opinion boboche à quelques cliques d'être virale. De voir que le marketing des "mon, ma, mes, ton, ta, tes" s'est rapidement taillé une place importante dans notre société, que nous sommes tous devenus des panneaux-réclame, à toujours vouloir célébrer notre identité.
Même nos journalistes underground ne se voient plus aller. Ils sont là, à ne couvrir que quelques artistes, les plus prisés. Se font remarquer dans tous les festivals, passe-média au cou, et ne couvrent rien. Ils sont juste là, pour nous tweeter qu'ils le sont, se positionner, pis éventuellement, nous envoyer une p'tite photo pis peut-être un texte sur le band coloré de l'heure, le préféré des Internets, celui avec qui ils se sont fait amis.
On passe nos vies à vouloir se positionner, s'afficher. À détester des inconnus, spéculer sur eux. Pis crisse que les gens sont mauvais pour spéculer. Ils visent rarement juste, mais restent sur leurs idées puisqu'ils ne vérifient jamais.
Et quand j'sors de mon appart. pour me délivrer un peu de cette mascarade, bin le web me suit, il est partout. Les publicités sont faites en fonction de lui, #lesgens parlent #desgens sur Facebook, des trends de l'heure. Ils se demandent s'ils devraient publier cette photo sur Instagram et d'autres supplient de ne pas uploader cette vidéo sur Youtube.
Non, maintenant, pour être certain de déconnecter totalement, je pars en métro, earphones aux oreilles et bouquin à la main, sans destination particulière. Le terminus. Et je reviens. Une grosse heure sans capter d'ondes, seul avec ma musique et un livre. Sinon, il y a toujours le vélo. Même que, j'viens d'me procurer une passe mensuelle pour le train de banlieue, c'est-à-dire, le transport en commun le plus serein qui soit. 45 minutes X2 aller-retour. Juste comme ça, pour rencontrer la vraie vie à nouveau. Et indeed, une fois la journée terminée, j'retourne à mon Facebook pour vous faire les éloges de la vraie vie, des bienfaits du slow media.
Mais honnêtement, j'pense qu'on est bientôt dus pour appuyer sur le bouton reset parce que l'jeu auquel on joue commence à crissement prendre trop d'place dans nos vies. C'est juste Internet.
Je nous déteste.