Critique de L’écume des jours: histoire d’amour écrasée sous le poids d’une overdose d’effets visuels
Michael-Oliver HardingCeux qui ne comprennent pas comment un blockbuster intello français (budget de 20 millions d’euros, quand même) signé Michel Gondry a pu être écarté de la sélection du Festival de Cannes ne se poseront plus la question après avoir vu L’écume des jours. Dommage qu’après son très habile huit clos The We and The I, Gondry récidive avec cette adaptation surréaliste, mais éminemment superficielle de l’œuvre-culte de Boris Vian. Ici, on a droit à une surenchère d’effets tous plus éclatés les uns que les autres, qui illustrent parfaitement l’esprit du dicton anglo-saxon « everything but the kitchen sink ».
L’idée de transposer ce classique de Vian (datant de 1947) au grand écran était, de l’avis de tous, un défi taillé sur mesure pour Michel Gondry – un réalisateur reconnu pour son imaginaire fécond, son bricolage d’effets visuels surprenants et ses mises en scène oniriques. L’écume des jours raconte l’histoire de Colin (Romain Duris, figé et caricatural), un gars très fortuné qui passe ses jours à se distraire avec son avocat-cuisinier Nicolas (Omar Sy) et son meilleur pote Chick (Gad Elmaleh). Lorsqu’il rencontre Chloé (Audrey Tautou), la personnification même d’un blues de Duke Ellington, c’est le coup de foudre. Les deux tourtereaux se marient rapidement, mais sont aussitôt confrontés à une dure épreuve. Un nénuphar prend forme dans le poumon de Chloé. Colin, bouleversé, ne ménagera aucun effort (et ne comptera plus les sommes dépensées) pour tenter de la sauver.
On ne peut que saluer l’effort (louable) d’avoir donné vie à tous les effets spéciaux du film de façon DIY, au lieu de recourir au numérique. Mais toute cette ribambelle d’objets improbables, de décors exubérants, de plans en stop-motion et d’accélérés finit par épuiser le spectateur, évacuer toute poésie du récit et s’emparer du film. C’est comme si Gondry avait carrément oublié qu’il avait des acteurs à diriger (et surtout, des personnages à dépeindre), ces derniers étant carrément enfouis sous une montagne d’effets visuels.
Gondry finit par se racheter (un peu) lors du dénouement sombre et inquiétant, avec son choix esthétique du noir et blanc, sa retenue dans les effets visuels et son rythme plus lent, qui laissent place à une interprétation plus juste de l’œuvre de Vian, et donnent lieu à quelques moments déchirants entre Duris et Tautou. Mais après 1h30 sans grande profondeur, et ayant écarté plusieurs thèmes phares évoqués par Vian (la critique de la société de consommation et de la religion, l’amour), c’est un peu too little, too late…
Difficile de comprendre comment le réalisateur derrière le chef d’œuvre mélancolique Eternal Sunshine of the Spotless Mind, une des plus épiques histoires d’amour alliant le fond à la forme, ait pu nous livrer une adaptation aussi bêtement tape-à-l’œil. De Baz Luhrmann (voir notre critique de The Great Gatsby), ça ne nous a guère surpris. Mais venant de Gondry, c’est décevant. Les critiques françaises assassines ont tempéré nos attentes, mais on en ressort quand même déçu, ce qui n’est pas peu dire…
L’écume des jours
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