Guy Maddin, véritable star des cinéphiles et capteur de fantômes, investit le Centre Phi
Sarah Lévesque«Quand tu participes à un film de Guy Maddin, tu sais que c'est un cadeau. Un cadeau de la vie. Il faisait partie de ma liste des réalisateurs avec qui je rêvais de travailler comme comédienne. J'apprends. Je prends des notes. Et puis, ça m'inspire. La liberté créative des gens nous donne envie d'oser, nous aussi», admet une Carole Laure emballée de faire partie de l'aventure Séances, au Centre Phi.
Guy Maddin, inconnu du grand public mais véritable star pour les cinéphiles, a conquis les festivals par ses films souvent muets, toujours oniriques, qui boudent les normes et les étiquettes. Le Canadien originaire de Winnipeg s'installe pour 12 jours au Centre Phi. Son but? Tourner 13 films comme 13 odes à ces films perdus des années 20, une réalité dont la grande histoire du cinéma regorge. «Hitchcock, Lang, Murnau, ils sont nombreux, les réalisateurs de cette époque qui ont perdu un film. C'était monnaie courante, le fruit du destin, des mauvaises conditions d'entreposage. Je tente donc de canaliser ces histoires perdues, de m'inspirer de leur esprit et de les transcender.»
Maddin s'offre ainsi un terrain de jeu où il donne libre cours à l'inspiration, la sienne, ainsi qu'à celle des comédiens. Normal alors qu'ils soient nombreux, les invités de marque à vouloir participer à l'expérience cinématographique de Maddin. Karine Vanasse, Paul Ahmarani, Céline Bonnier, Clara Furey, Roy Dupuis, Caroline Dhavernas et Sophie Desmarais feront leur petit tour. Le public aussi, est invité à venir zieuter autant qu'il le désire la technique de Maddin et les différentes incarnations des comédiens.
«Personne ne m'avait dit qu'on commencerait nos journées par une séance de spiritisme. J'ai été surprise quand Maddin nous a réunis… On s'est pris la main et on a fermé les yeux. Et Maddin a demandé aux esprits du film de venir nous visiter. J'étais en transe, pis Karine [Vanasse] aussi… Pour vrai, ça canalise les énergies. Je devrais essayer ça sur mon plateau de tournage, cet été», rapporte à la rigolade Laure, qui prépare le tournage d'Exit, un film qu'elle a écrit et réalisé.
Pour les visiteurs, il y a un avertissement sur le mur qui protège le plateau du tournage des intrusions trop rapides. Et Maddin n'a de toute évidence pas peur des mots, et affiche dès lors, son envie de créer des séances de spiritisme. Pour lui, Séances s'avère être une grande mise en scène afin de canaliser l'énergie de ces films perdus.
Cet exercice, Maddin le débute en 2012 à Paris, au Centre Pompidou. «Tous les pays du monde regorgent de films perdus. En tout, on estime que 80% des films muets sont perdus. Et puis, jusque dans les années 70 et même 80, certains films se perdent. Trois des films que je tourne ici, sont inspirés de l'histoire du Québec. Un des films comprend une comédienne qui a tourné aux États-Unis, mais qu'on dit québécoise: Florence Labadie. Un autre, film à l'origine par Monseigneur Albert Tessier, raconte une journée chez les scouts qui se préparent pour la Deuxième Guerre Mondiale. Et le troisième est une histoire de pompiers et de feu qui vient de chez vous.» Au final, le point commun de toutes ces histoires est ce sentiment de perte et d'oubli qui habite, semble-t-il, tous ces contes cinématographiques que Maddin capte.
Maddin réalise une partie de ses recherches sur Google, mais aussi au sein de différentes archives nationales. Parfois, il n'y a qu'un titre comme piste de départ. Plus souvent qu'autrement, le réalisateur compose avec des brides de scénarios ou même, un synopsis peu étoffé. On sent surtout que tout ça, ce n'est qu'une grande excuse pour plonger dans une autre époque, des univers que Maddin transforme comme il l'entend. «Des fois, le soir, quand tous mes amis sont au lit et que moi, j'erre toujours dans les rues, je sens qu'il y a l'esprit d'un film perdu qui me pousse à en faire un autre, alors que vraiment, je devrais être en train de filmer autre chose que ça. Oui, des fois, j'ai le sentiment que je suis hanté.»
Crédit photos: Vincent Toi