La pire chose qu'on puisse faire à une personne qui parle peu à la rentrée scolaire… c'est de le lui faire remarquer. Le gars (ou la fille) que je déteste le plus au monde fait tout l'temps ça.
À cause de lui, pendant des années, j'ai mené une double vie. De l'école primaire jusqu'à la mi-secondaire, j'étais le gars gêné, celui qui parlait peu, voire, pas. Ça, c'était pendant la semaine, entre la cloche matinale et celle, libératrice, qui nous laissait filer dans l'autobus pour plus tard, dans la soirée, aller rire de Brathwaite qui dropkickait le décor 90s de Piment Fort.
Une fois chez moi, avec mes amis qui ne fréquentaient pas le même secondaire, j'étais le p'tit tabarnack de baveux, drôle, avec bin d'la répartie. L'inverse de c'qu'on connaissait de moi à l'école. Ils s'imaginaient que je devais régner comme un boss avec toute cette arrogance, mais holy dogfuck, nope. J'étais rouge quand les filles me parlaient.
Et toute cette gêne, cette deuxième identité, c'est la faute de ce dude-là, que je déteste plus que tout au monde, celui qui m'a balancé cette phrase meurtrière à chaque nouvelle rentrée: «M'semble que tu parles pas beaucoup toi?»
C'qu'il faut savoir c'est que j'pas un grand adepte du small talk. Tes esti de convos que tu peux aisément copier-coller pendant 40 ans, j'ai toujours préféré les éviter. Fak, indeedemment que j'pas très bavard quand j'me retrouve en compagnie de small talkeux, dans une classe pleine de nouveaux visages. J'analyse d'abord, ensuite j'entame la discussion avec les gens qui me plaisent (donc, pas toi).
Mais ce dude-là, il confond ce temps d'analyse avec la gêne. Il met déjà les introvertis dans une boîte, à peine 14 heures de cours passées en sa compagnie, pis s'fait un devoir de rapporter l'esti d'évidence: ils ne parlent pas énormément.
Ce gars, probablement sans malice, ne s'imagine même pas qu'il est crétin. Il ne comprend pas que les gens gênés, c'est lui qui les crée. Qu'ils ne le sont peut-être initialement même pas avant qu'on ne leur fasse remarquer. Que l'impression première qu'on laisse, aussi loin de la réalité soit-elle, est souvent celle qu'on voudra conserver pour ne pas surprendre outta the blue tous ceux qui ne s'imaginent pas que PÉNIS-PLOTTE puisse sortir d'la yeule du dude qui ne parle pas tant.
On s'imagine alors gêné parce que c'est l'impression qu'on a laissée, l'image qu'on nous a tout d'suite prêtée. Quand quelqu'un nous le fait remarquer, il crée des barrières dans notre tête et nous câlisse une lourdeur incommensurable sur les épaules, parce qu'on sait qu'aussitôt qu'on osera prendre la parole, #lesgens s'étonneront, la gueule ébahie, que des sons puissent provenir de nos cordes vocales. Le sentiment empire plus le temps avance. On se sent infantilisé, comme si un adulte devait nous prendre par la main.
Et les adultes sont très forts pour ça, aussi. J'avais beau avoir 10 ans, esti d'idiot, mais je comprenais que tu parlais de moi, DEVANT MOI, à mes parents, en faisant fi de ma présence. Tu l'sais peut-être pas, mais t'as nui à mon épanouissement personnel, mon câlisse de Bernard.
Évidofcourse, tout ceci relève avant tout de notre responsabilité, mais ces choses-là, on les apprend à nos dépens à un très jeune âge alors qu'on peine à comprendre wassup avec notre corps/cerveau/vie. C'est pour ça qu'aujourd'hui, à chaque fois que je dois apprivoiser un nouvel environnement, je m'assure d'être la tabarnack de grande yeule qui ne finit plus de prendre sa place pis s'arrange pour que même le plus extraverti des extravertis garde sa yeule fermée pis lève sa main avant d'parler.
Pis ça, c'est à cause de ce dude-là, que je déteste plus que tout au monde qui, mine de rien, agit comme un poison sur la vie de tout plein d'gens.
Je te déteste.