Voilà maintenant 11 ans que j'ai connu, pour la première fois, la popularité sur le web. Quelques années plus tard, j'ai pu encore goûter à celle-ci par l'entremise d'un personnage que tu connais très bien: Le Détesteur.
Après cette intro auto-élogieuse, tu dois te poser la question: ouin mais là, fais-tu ça pour devenir une vedette ou quelque chose qui s'y rapproche? Pas tout à fait. Caresser le rêve américain, #lolznope. La réponse te semblera peut-être étonnante, et attention, j'me confie à toi.
La vérité c'est que j'suis pas un vrai adulte pis je n'ai jamais pu supporter qu'on m'infantilise. D'un point de vue physionomique, j'veux dire. Ma babyface est munie d'une paire de yeux bleus pis ma voix est à des lunes de celle qu'on a imaginée pour le plus mâle des mâles. J'ai pas l'apparence de l'homme adulte qu'on m'a vendu toute ma vie. Pis ça, ça m'a toujours fait un peu d'quoi.
Depuis l'âge où mes amis se sont transformés en hommes des cavernes, je vis dans l'urgence de gagner en popularité web pour convaincre les plus idiots qu'un adulte, ça peut aussi être moi.
J'ai vécu assez longtemps avec cette physionomie pour savoir reconnaître quand le traitement qui m'est offert diffère de celui qu'on donne à un gars plus jeune, mais avec des traits plus vieux et une profonde voix. C'est pas quotidien, et même de moins en moins fréquent, parce que mon visage vieillit, mais quand ça s'produit, c'est suffisant pour m'empoisonner la vie pour un p'tit moment. J'approche la trentaine pis, j'suis encore confronté à ce crétin pour qui le grown man ne provient que d'un seul moule et aucun autre.
Occupation Double en est à sa dixième saison, mais pour un gars comme moi, ce sont 10 années de candidats masculins à la mâchoire carrée qui n'ont crissement rien à voir avec le dude que je suis. Et l'pire c'est qu'ils correspondent tout à fait à l'idée que j'm'étais faite du mâle adulte quand j'étais enfant. Probablement parce que c'est toujours celui qu'on m'a proposé à la télé ou dans les pubs.
Pendant longtemps, j'me suis senti imposteur. Je chokais à la dernière minute des rendez-vous à la banque pour éviter qu'la dame se sente bernée d'avoir malencontreusement booké une rencontre avec un homme-enfant.
Et même sur le web, quand certains lecteurs m'ont vu et entendu pour la première fois (vidéo ou radio), ils admettaient que la magie avait été brisée, parce qu'un Détesteur à la plume acerbe est censé être porteur d'une grosse voix. Encore une fois, je m'accusais d'imposture, j'me sentais mal d'avoir dirigé les gens au mauvais endroit, comme si ce rôle ne pouvait m'être destiné.
Finalement, j'me suis dit: ce personnage c'est moi et personne d'autre pis il vient avec tout c'que j'ai; les gens adapteront leurs perceptions. Pis un jour, j'ai observé mes amis blogueurs, animateurs, graphistes ou humoristes. Plusieurs avaient en commun ce p'tit quelque chose qui les rendait moins adultes dans l'imaginaire collectif.
C'est à c'moment que j'ai cliqué que nos gueules d'enfant ont fini par nous réunir au même endroit et que, peut-être bien qu'eux aussi ont choisi un domaine qui propulse, un jour ou l'autre, devant les caméras, dans un but viscéral de survivre et d'affirmer qu'un adulte, c'est ça aussi.
Je vous déteste.
*Ce texte est inspiré par Gabrielle Lisa-Collard, suite à la lecture de son magnifique témoignage à l'approche de son trentième anniv. Lis-le maintenant.