Éric Morin nous parle de «Chasse au Godard d’Abbittibbi», un premier film personnel qui évoque le désir d’exil
Ariel LittelSophie Desmarais, Alexandre Castonguay et Martin Dubreuil se donnent la réplique dans Chasse au Godard d'Abbittibbi, un film qui, quelque part entre fantasme et politique, évoque le désir d'exil et de fuite en avant. NIGHTLIFE.CA a rencontré son réalisateur, Éric Morin, le concepteur de l'émission culte Mange ta ville.
Autant le dire tout de suite, Chasse au Godard d'Abbittibbi n'est pas un film sur Jean-Luc Godard. « C'est un prétexte, un fantasme. Godard est fantomatique », souligne le réalisateur. L’œuvre d'Éric Morin est avant tout un film personnel, qui touche à des problématiques qui ont marqué sa vie. Originaire de Rouyn-Noranda, où le film se déroule, le réalisateur s'est exilé à Montréal de longues années, une ville qu'il a appris à aimer via Mange ta ville. « J'adore Montréal. Je vis un sentiment d'amour et de déchirement entre Montréal et l'Abitibi. » Un tourment qu'expriment les deux personnages principaux du film, Marie (Sophie Desmarais) et Michel (Alexandre Castonguay). Confrontés à l'irruption d'une équipe de cinéma étrangère, menée par un Montréalais, Pierre (Martin Dubreuil), ils se découvrent des aspirations politiques et libertaires, un besoin d'évasion. « C'est une manière de parler de soi avec pudeur, car je le fais à travers d'autres personnes. »
La parole au peuple
Le film ne s'arrête cependant pas aux envies d'évasion de Marie. Via le personnage de Godard et de ses idéaux, Chasse entre dans une sphère de politique sociale. Nos deux protagonistes donnent « la parole au peuple », des bûcherons aux étudiants. « Ce n’est pas un film politique en tant que tel, mais ça parle d'engagement, de faire bouger les choses, de liberté. Je transpose ça en 1968, mais ça parle beaucoup d'aujourd'hui. » À l'image des étudiants, auxquels Éric Morin laisse la parole, et dont certains portent le carré rouge (le tournage avait lieu à l'hiver 2012). Un héritage dont le cinéaste se targue: «un anachronisme dont je réclame la portée politique! »
Ainsi, loin de s'en tenir à un unique sujet, Chasse au Godard d'Abbittibbi possède de nombreuses facettes. Pas trop surprenant, lorsqu'on se rappelle le travail d'Éric Morin dans Mange ta ville, une émission qui dépeignait Montréal sous toutes ses coutures. « Durant Mange ta ville, ma rencontre avec tous ces artistes extraordinaires pendant ces sept années m'a énormément inspiré. Nous avions une liberté totale au niveau de la forme et du contenu. Ça a été hyper formateur. » Si le film se déroule en Abitibi, on y retrouve l'attachement au territoire qui était l'essence de Mange ta ville. « La moitié des figurants du film sont d’Abitibi. C'est une déclaration d'amour et une parodie, une réflexion sur notre position dans le monde en tant qu'Abitibiens. »
Porté par une trame sonore envoûtante signée Philippe B. et agrémentée par Arcade Fire et Ariane Moffatt, Chasse au Godard d'Abbittibbi est un film intelligent qui donne matière à réflexion. On ne peut que louer la mise en scène onirique et le jeu du trio d'acteurs, qui servent à merveille le rythme et le contenu du film. Seul bémol: s'attaquer à tant de sujets en un seul long métrage ne permet que de les survoler, et non de creuser en profondeur. Le spectateur profane peut se trouver parfois perdu au milieu de ce foisonnement de problématiques qui mériteraient pourtant qu'on s'y attarde. Mais il s’agit là d’un défaut prometteur: Éric Morin a des choses à dire, et nous aurons matière à l’écouter.
Chasse au Godard d'Abbittibbi
En salles le 1er novembre