T'as sûrement été aussi choqué qu'moi quand t'as vu la vidéo de l'itinérant en shorts se faire menacer de manière hostile par un policier. Chez moi, ça n'a fait qu'évoquer encore plus fort le sentiment qu'il est tout à fait légitime et politiquement correct de gueuler par la tête d'un sans-abri, et ce, impunément. On s'en félicite, même.
On va s'admettre ça tout d'suite là, on pourrait pas s'en permettre autant avec un inconnu vêtu d'un Canada Goose. Quelqu'un interviendrait probablement ou dans la moindre mesure, le colérique fautif récolterait des regards croches.
Prends par exemple un groupe de jeunes douchebags drunk qui vient câlisser l'trouble dans un McDo après le last call. On leur demanderait de quitter, on insisterait, on composerait le numéro d'la police, mais jamais on ne laisserait un autre humain les faire passer pour des esti d'poubelles, ou du moins, on ferait preuve de pas mal plus d'indulgence avant d'en arriver là.
Quand on traite avec un itinérant, y'a ce regard méprisant et un ton de voix dégoûté qui viennent avec. On n'hésite même plus à user de cette méthode parce qu'on sait d'avance que tous les témoins la pré-approuvent, anyway.
J'en suis témoin à quasi tous les jours.
Personne ne lève pas même le tabarnack de p'tit doigt, quand ç'arrive.
-Voyons ESTI, après qui elle gueule comme ça, celle-là? Elle est donc bin agressive pour rien!
-Ah ok, un robineux. Normal. Je vais encourager la madame à l'aide de mon regard rempli de dédain à l'endroit de cet effroyable être qui sent la crisse de marde.
C'est tout l'temps la même chose. J'attendais le métro à Lionel-Groulx, l'autre matin, pis le pauvre monsieur pas tout' là qui venait nous demander un peu de monnaie se faisait revirer d'bord à grands coups d'époumonages pis d'insultes. C'était comme si la première personne à lui hurler de s'en aller avait ouvert la porte pour toutes les autres.
En quelques secondes, chaque personne s'était vue attribuer la permission de lui crier d'sacrer son camp. Et pas le type d'hurlement qui passe inaperçu; celui qu'on assume rarement en public, qui vient lorsqu'il y a tentative d'agression. NON!!! VA T'EN!!! J'EN N'AI PAS D'ARGENT C'TU CLAIR!??!!! Et tout l'monde, avec sa voix matinale désagréable, se passait la puck pour lui faire comprendre qu'il n'était rien d'autre qu'un indésirable et qu'on n'allait même pas lui laisser la chance de demander gentiment s'il était possible de lui donner 25 sous pour qu'il puisse manger un peu.
Et nombreux sont les restos et cafés où les employés n'hésitent pas à sévir sans réserve devant tout l'monde: J'T'AI DIT DE PARTIR MON ESTI D'DÉGUEULASSE, QU'EST-CE TU COMPRENDS PAS LÀ-DEDANS? ES-TU CAVE OU QUOI? Et un coup le bonhomme parti, ils fraternisent sans gêne avec les clients et en profitent pour se faire un capital sur le dos de cet horrible individu hors de ce monde: Non mais y'a des crisse de limites là! Les estis d'itinérants passent leur temps à faire fuir les clients! Un 'ment donné, tabarnack!
Et les clients acquiescent et partagent à leur tour leurs expériences avec les sans-abri, pendant que celui qu'on vient de traiter comme un chien retourne vagabonder à l'extérieur sans trop que personne ne se soucie de son sort.
Pis ça, je l'observe au moins à tous les deux jours. Fak si tu veux mon avis, le policier qui menace d'attacher un gars en bermudas après un poteau, c'est un peu le résultat de c'qu'on approuve en tant que société, de notre p'tit crisse de confort qui se voit menacer par un simple «Spare some change?» accompagné d'un relent de pisse.
Je vous déteste.