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Le Détesteur: aide un itinérant, laisse ta caméra chez toi
Crédit: Émilie Deshaies

On observe de plus en plus, sur Internet, des gens qui, probablement remplis de nobles intentions, se filment en train de distribuer des vêtements ou d'la bouffe (santé ou pas) à des itinérants, dans les rues de Montréal. Plus récemment, on pense au populaire vlogueur Casey Fratta ou encore à l'ex-Académicien Étienne Drapeau qui se sont prêtés à l'exercice.

Normalement, j'suis pas du genre à me faire du mauvais sang quant au narcissisme des gens sur les médias sociaux parce qu'en quelque part, on a un peu décidé de l'être (narcissiques, indeed) en acceptant de s'faire voir sur une plateforme où son utilisation devient futile sans un minimum d'approbation des amis.

Mais là, comme plusieurs, j'éprouve un malaise quand je vois ces dudes faire un making-of de leurs bonnes actions. À la limite, si tu m'dis qu'tu vas amener ta cam au moment de sauver un chaton coincé sur la plus haute branche d'un arbre; great. Do it. Tu documentes ta journée de récolte de vieux meubles que t'iras toi-même porter dans une friperie Renaissance? Cool. Méga tempête de neige pis tu parcours ton quartier une pelle à la main, prêt à offrir bénévolement tes services à des inconnus? Filme-toi. Aucun prob.

Mais quand le moment marquant de ta vidéo, et ça, tu l'as planifié à l'avance, c'est d'obtenir l'émerveillement d'une personne qui vit dans la rue, là, compte sur moi pour frissonner de malaise. C'est qu'avant même d'avoir posé le geste, c'est déjà établi que tu seras le super-héros et que le receveur se positionne comme celui qui n'a pas un câlisse de mot à dire; il n'a rien. Sa réaction, elle n'est même plus anticipée; elle est certaine. Crisse, il vit dans la rue, pourquoi me revirerait-il de bord?, que tu nous laisses entendre.

Le gars à qui t'offres d'aller pelleter l'entrée, il pourrait bien refuser pour toutes sortes de raisons, pis ça, tu l'sais. Il paie déjà quelqu'un pour le faire ou insiste pour exécuter la tâche lui-même à la suite d'une résolution de perdre du poids en 2014. Tu connais l'orgueil des plus nantis et tu pourrais t'y frotter. Considérant ce risque de refus, vas-y, fonce. Filme-toi autant qu'tu veux. J'y vois très peu de prob.

Mais l'itinérant, quant à lui, tu ne sembles pas lui prêter d'orgueil. Tu ne t'es probablement même pas informé à savoir s'il était déjà nourri via un organisme caritatif. Et dans le cas échéant, peut-être acceptera-t-il la nourriture que tu lui donnes, mais pas au point de vouloir être montré comme celui qui n'a pas vraiment d'autres choix que de t'être supra-reconnaissant. Tu collectionnes d'avance les "Awwww trop mignon!", parce que c'est donc attendrissant de venir en aide à celui qu'on refuse de croiser du regard en s'rendant à l'épicerie. Une valeur sûre. Un tabarnack de beau geste.

À mon avis, ces actions sont nobles, oui, mais devraient être pratiquées dans l'anonymat. Ton nom et ton visage n'ont pas à être diffusés. Les réactions non plus. Comme l'a précisé un Daniel (qui autrefois était dans la rue) sur une de mes publications Facebook, informe-toi sur les organismes qui font déjà ce travail pis va porter tes dons à ces endroits. Et toujours selon lui, si t'as vraiment envie de venir en aide à un sans-abri, offre-lui des bas, parce que mine de rien, il faut changer ça régulièrement, des bas. Genre, à tous les jours. Pis laisse ton esti d'caméra chez toi.

Je te déteste.

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