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Chronique de fin de soirée: backstage.
Crédit: Émilie Deshaies

«Sometimes I think I have felt everything I'm ever gonna feel. And from here on out, I'm not gonna feel anything new. Just lesser versions of what I've already felt.» 
 
Theodore du film Her (Spike Jonze – 2014)
 
J’aurais aimé écrire cette ligne de Spike Jonze, mais j’aurais préféré la vivre. C’est une chose de synthétiser ce qu’une génération ressent en quelques mots, mais si j’avais pu moi-même résumer mon existence à partir de ces mêmes mots, j’ai l’impression que j’aurais franchi un nouveau niveau de conscience.
 
Mais non. Il est passé minuit, je bois du vin à la bouteille dans le backstage improvisé du 1181 Ste-Catherine Ouest, et je réfléchis à ma chronique de la semaine.

Mon backstage
 
Certains lecteurs se plaisent à dire que cette chronique est non seulement plate, mais que surtout ma vie semble l’être encore plus. Qu’il n’y a aucun intérêt particulier à ce que je véhicule à travers ces lignes et qu'on se fout complètement de ce qui peut m’arriver. Ils ont raison.
 
Mes expériences de fins de soirées ne sont pas plus importantes ou plus mémorables que celles des autres.  À la différence où j’en suis conscient.  Et je doute que l’inverse soit aussi vrai. La pire chose que l’espèce humaine ait pu développer au fil de son évolution est l’importance fondamentale que s’accorde personnellement chaque individu.
 
Résultat? Des gens satisfaits et surtout convaincus d’eux-mêmes. La présomption de vraiment avoir du plaisir, un plaisir franc et unique. Un plaisir qui se mérite et qui vaut la peine d’être vécu. On raconte sa journée autour d’une bière. On donne son opinion sur un sujet d’actualité en picolant autour d’un verre de rouge. On s’excite en groupe autour de quelqu’un qui semble vouloir partager sa MDMA.
 
Je ne me souviens guère de ma dernière soirée digne d’un tel sentiment de satisfaction. À travers tous ces bars, tous ces mix sessions, toutes ces bouteilles de vin commandées à prix fort, tous ces shooters de Jagermeister avalés en quelques secondes, il ne me reste que l’impression d’avoir déjà vécu ce que je viens de vivre. Et que tout ceci n’en vaut pas la peine.
 
Mais je persiste. Peut-être par innocence, peut-être parce que l’ivresse m’apporte un réconfort momentané, qui se dissipe pourtant à la même vitesse que le début de mes maux de bloc qui me réveillent au lever du soleil. Peut-être parce que je refuse de croire qu’il n’existe pas quelque chose, quelque part, quelqu’un qui peut me faire vivre une sensation nouvelle.
 
Peut-être que je me trompe.
Que je tourne en rond.
 
Y existe-t-il une alternative? Avoir une blonde? Fonder une famille? M’acheter une maison? Regarder la télévision? Retrouver la même certitude que mon existence à une valeur quelconque face à celle des autres?
 
Au fond, je n’en ai rien à foutre. Je préfère être déçu de ne rien trouver de pertinent dans un fond de verre de scotch que dans les yeux de mon enfant qui aura grandi pour vivre exactement la même chose que moi sans que je puisse lui offrir une réponse satisfaisante.
 
Entre temps, je continue de chercher, dans un taxi, en route vers l’appartement de Tatjana rencontrée au Mme Lee la semaine dernière.
 
Et je continue d’écrire ces lignes.
 
Si au moins je (ne) pouvais (pas) les vivre.

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