Le photojournaliste Valérian Mazataud nous présente ses portraits de réfugiés syriens
Michael-Oliver HardingAlors que la couverture médiatique internationale est monopolisée ces jours-ci par l’aggravation du conflit en Ukraine, les manifestations réprimées dans le sang au Venezuela et le mystère qui plane toujours sur la disparition de l'avion de Malaysia Airlines, le conflit syrien continue pourtant de faire des ravages…dans l’ombre.
Le photojournaliste indépendant Valérian Mazataud (La Presse, Le Devoir, L’Actualité), qui a couvert plusieurs grands événements des dernières années (dont le tremblement de terre en Haïti et le printemps arabe) et qui s’intéresse principalement aux questions de justice sociale, est allé à la rencontre de Syriens s’étant réfugiés dans des camps jordaniens à l'automne 2012. Le conflit syrien défrayait alors les manchettes, mais il était principalement question des combats. À ce jour, plus de 600 000 réfugiés syriens ont franchi la frontière jordanienne. En posant à ces gens une question d'apparence simple – «Qu’avez-vous gardé de votre vie d’avant?» – Mazataud a voulu faire appel à la notion de mémoire et en comprendre davantage sur le statut transitoire de ces gens, ayant quitté un pays où on n’est plus le bienvenu pour un nouveau pays où on n’est pas accepté.
Son expo De nous il ne reste plus personne est présentée à la Maison de la culture du Plateau-Mont-Royal jusqu’au 30 mars, avant de s’envoler pour le festival Contact à Toronto. NIGHTLIFE.CA a posé cinq questions au photojournaliste Valérian Mazataud.
1. Pourquoi as-tu choisi de couvrir le conflit syrien sous l’angle de ses réfugiés en Jordanie?
Mazataud: Je trouvais qu’en fin 2012, on parlait énormément du conflit, mais que c’était d’une façon très détachée, du genre: ‘‘quelqu’un a repris tel quartier’’, ‘’il y a eu 30 morts’’, ‘‘il y a eu une bombe’’, etc. Toujours très désincarné. Je trouvais intéressant d’aller plus du côté humain de la chose et notamment du côté des réfugiés. On parlait beaucoup de la Turquie comme pays limitrophe, mais je trouvais le cas de la Jordanie intéressant, parce qu’il y avait autant, sinon plus de réfugiés en Jordanie, pour un pays beaucoup plus petit et avec des ressources beaucoup plus limitées.
J’aimais l’idée que ces objets souvent intimes peuvent nous rapprocher à nous-mêmes, à cette fameuse question: qu’est-ce qu’on emporterait sur une île déserte, si on devait fuir de chez nous?
2. La plupart des gens rencontrés dans les camps étaient-ils partants à collaborer à ton projet?
Mazataud: Oui, mais parfois, certaines personnes sortent de chez eux comme on l’imagine: avec des clés, des papiers d’identité, un téléphone, et c'est tout. Il y en a d’autres qui ont eu un peu de temps, mais n’ont ramassé que des choses qu’ils pouvaient emporter avec eux, sachant qu’ils devraient marcher plusieurs jours avant d’atteindre la frontière, qu'ils devraient peut-être traverser des barbelés, des mines, etc. Il est donc très difficile de transporter des valises ou un gros sac… On s’en tient souvent à l’essentiel: de l’argent, un objet religieux, un chapelet, des objets plus anodins, comme une théière ou des photos de famille.
3. Tu as déjà beaucoup voyagé dans cette région pour le travail. Comptes-tu y retourner bientôt, vu les conflits qui s’enveniment toujours?
Mazataud: Je m’y suis rendu quand même plusieurs fois. Le Moyen-Orient, il y toujours des choses extrêmement intéressantes à comprendre là-bas et à expliquer. C’est une région tellement complexe et «caricaturée» dans le sens qu’on ne peut pas la comprendre avec de grandes généralités. Il faut rentrer dans les détails. En même temps, je pense que c’est une région où il y a déjà de bons photographes et de bons journalistes, qu’ils soient locaux ou internationaux, donc peut-être que ce n’est pas l’endroit le plus pertinent pour moi de retourner.
4. Sur ton site web focuszero.com, tu évoques la notion de «journalisme parachute», qu’il s’agit là de quelque chose que tu évites à tout prix. Pourquoi?
Mazataud: C’est lorsque tu arrives dans une zone pour quelques jours ou moins de deux semaines, ça reste du journalisme où tu es parachuté dans un endroit. Ça fait peu de temps que je fais ce métier; à peine 5 ans. Je pourrais te dire qu’à chaque voyage, mes questionnements ont changé et qu’aujourd’hui, je suis peut-être arrivé à une certaine maturité, de me poser la question: est-ce qu’il y a quelque chose que je ne comprends pas et que j’ai envie de retransmettre en revenant?
Qu’est-ce que moi, en tant que journaliste indépendant avec mes moyens et mon approche, pourrait apporter à la compréhension des gens qui vont voir mes images? Est-ce que je vais refaire la même chose que les autres, auquel cas ça ne vaut peut-être pas le coup d’y aller.
5. À quel point est-ce que les préoccupations de sécurité pèsent lourd dans la balance?
Mazataud: Ça pèse beaucoup, dans la mesure où je me demande si j’aurai les moyens d’assurer ma sécurité ou si ma sécurité va compromettre le travail que je fais. Par exemple, aller en Syrie, ce qui aujourd’hui est quasiment impossible, m’aurait à l'époque coûté un minimum d’environ 500 $ par jour ou 300 $ pour avoir un interprète, un véhicule, parce qu’on se joignait alors à une unité combattante, et évidemment les prix augmentent dans les zones de conflit.
Est-ce que tous ces coûts m’auraient obligé à produire uniquement des sujets «rentables» qui allaient pouvoir être vendus facilement? Est-ce que j’allais pouvoir faire quelque chose d’intéressant? Après, La Presse, l’AFP ou Radio-Canada arrivent là-bas avec de gros moyens et la liberté de travailler sur les sujets qu’ils veulent parce qu’ils n’ont pas à penser à cette notion de finances en permanence. C’est ce genre de questions qui orientent mes choix.
De nous il ne reste plus personne
Jusqu’au 30 mars
Maison de la culture du Plateau-Mont-Royal | 465, Mont Royal Est