J'angoisse beaucoup, dernièrement. C'est que j'observe les choses aller sur le web depuis quelque temps et je prévois que d'ici 2016, si je n'ai toujours rien fait pour m'adapter à c'qui s'en vient, il se pourrait très bien que toutes mes années d'expertise, le lectorat que j'me suis monté et la notoriété qui vient avec, n'aient plus aucune importance. Zéro.
Pour la première fois, depuis mes premiers pas sur le web en 97, je vois bien que ceux qui, pendant plus d'une décennie, levaient le nez sur à peu près tout ce qui leur était virtuellement offert, "s'intéressent" de plus en plus à la lecture numérique. Et depuis 2013, les signes ne mentent pas. Les entrepreneurs ont flairé l'opportunité et conçoivent désormais des blogues exclusivement pour ce large lectorat qui vient d'se réveiller.
On voit ainsi apparaître des wowtropmalade.ca et des affairescool.com qui rapportent de l'inusité, de l'extraordinaire non-vérifié. On aurait découvert une jambe de zombie à Fresno en Californie, partagez!!! La victoire du hoax et des légendes urbaines.
À leur tour, TVA et NRJ ont trouvé le moyen d'être viraux, en rédigeant le même type de nouvelles, quoiqu'un peu moins surréalistes. Il n'est plus rare de voir passer sur Facebook le package "image qui en dit long + titre révélateur + courte description" qui à lui seul annule la nécessité d'une lecture complète d'un texte pour comprendre que c'est donc bin une situation incroyable et qu'il faut que j'en informe mes amis au plus vite. Une femme aurait mangé 16 condoms avant d'avoir une relation sexuelle pour la première fois depuis son coma!
Et ce qui précise davantage le take-over imminent de la masse sur la webosphère, c'est la perte de qualité incessante au niveau du web-journalisme. Même les initiés de toujours prennent plaisir à repartager massivement des listes sans substance, mais au packaging ô combien esthétique. Les billets de blogue qu'on se relaie s'apparentent dorénavant à de mignons pots Masson vides, mais tellement bien recyclés manière DIY. Pas de sucre à 'crème inside.
Par exemple: en période d'élections, il serait facile de prévoir le succès monstre d'un billet intitulé: "16 choses qu'on veut garder pour nous si le Québec se sépare". Pis là, on insérerait des .gif animés d'une poutine dansante tirée du clip d'Omnikrom, de Céline qui rappelle en sourdine de Take a Kayak ou bien de Marc Arcand qui joue du nunchaku. Juste ça, rien d'autre qui pourrait enrichir qui que ce soit. Pas de dates importantes ni de factuel, juste du .gif dans un format qui se glisse crissement bien dans une publication FB. Et les statistiques le confirment: c'est ça qui marche fort.
À ça s'ajoutent les tendances et buzzwords éphémères. Suffit de dire: "Hey, on part un buzz!" que ç'en est déjà un avant même d'avoir appuyé sur le bouton "Publier". On devrait pourtant prendre un temps d'analyse, avant de s'empresser de répéter au monde entier: "Hey, checkez la nouvelle tendance du moment, trop drôle, lol!". Se demander si vraiment on adhère et si c'est grave de ne pas le faire. Mesurer son impact, sa durée de vie. Se forger un esprit critique.
Et tranquillement, les deux pôles se rapprochent. Le bibliothèquophobe analphabète est à quelques kilomètres de faire la rencontre de son extrême, l'étudiant en comm. Tous deux ont partagé en retard l'article du HuffPost faisant l'éloge du #normcore. Salut, Bonjour! en a même parlé.
À la rencontre des deux mondes, pertinence, intégrité et rigueur auront probablement déjà perdu le combat au profit du spectaculaire. Des superstars hybrides jumelant le look d'un Sugar Sammy et la puissance d'un Matthieu Bonin pourraient rapido voir le jour et laisser dans l'ombre les plumes de l'underground qui n'ont jamais caressé le rêve d'atteindre les masses.
Et c'est pour cette raison que je m'inquiète de l'avenir du web. Parce que je n'ai pas l'impression que quiconque pourra se permettre de dire NON à monsieur-madame-tout-le-monde qui se montre de plus en plus réceptif à c'qu'on lui propose. On s'adaptera à lui, comme on s'adapte à la facilité depuis quelques années.
Je vous déteste.