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Critique de la pièce «Sauce Brune»: brillant, vulgaire, sensible et franchement drôle!
Crédit: Maude Touchette

C’est vulgaire. Ça invente de nouvelles façons de transformer les sacres en verbes, en adjectifs, en adverbes, en noms et en onomatopées. Ça sent quelque chose comme la vieille sauce brune de cafétéria que plusieurs mangeaient tous les midis au secondaire. Et vous savez quoi? Ça goûte (crissement) bon!

L’auteur québécois Simon Boudreault est celui à qui revient la première mention d’honneur de cette production présentée au 240e étage, dans le coin à gauche, du Monument National (aka : la Balustrade). Pendant près de deux heures, les spectateurs s’esclaffent, s’émeuvent et se surprennent.

Dès le départ, on réfléchit à l’utilisation dégoulinante de sacres à tous les quatre mots (ce n’est pas une métaphore). Près de 46 ans après que le joual ait fait son entrée par la porte du Rideau-Vert, avec la première des Belles-Sœurs de Michel Tremblay, la parlure québécoise résonne encore plus grassement sur scène.

Pendant le premier quart d’heure de Sauce Brune, durant lequel la chef-cook d’une cafétéria d’école secondaire s’insurge contre la plainte de «l’ostie de comité d’osties de parents» sur les menus déséquilibrés, on prend un moment pour s’adapter au vocabulaire.

On ne perd absolument rien de l’énumération hilarante des repas construits selon les quatre groupes du Guide alimentaire canadien ni des idées préconçues sur certains aliments. Toutefois, on accorde une large part de notre attention aux sacres. Si les ostie, de crisse, de calice, de tabarnak, de ciboire, de viarge nous apparaissent d’abord comme un moyen de camoufler l’ignorance des personnages ou une façon de combler le vide de leur existence, on réalise peu à peu qu’ils disent beaucoup plus qu’on le croit.

À travers eux, on apprend à connaître Armande, la chef bourrue, mais passionnée par son travail, sorte de rempart entre elle et la déchéance. On écoute Cindy se vanter de ses histoires de baises sans lendemain et défendre Martine, une jeune femme dénuée d’amour propre qui se fait violenter par son amoureux. Le quatuor est complété par Sarah, une autre employée de la cafétéria qui prétend prendre une pause de la vie, avant de crisser son camp de sa « job de marde ».

Brillant, sensible et franchement drôle, le texte de Simon Boudreault lève le voile sur une frange de la population sans éducation ni considération, qui ne mérite pas moins le respect et la dignité. La mise en scène de Frédérick Moreau est inventive, rythmée, précise et rend intelligible un propos qui aurait pu se faire enterrer par les gros mots. Les actrices Marie-Chantal Nadeau, Vickie Mercier, Noémie Longpré et tout spécialement Sylvie Demers sont investies, naturelles, touchantes, dotées d’un timing de feu, d’une complicité du tonnerre et d’un amour évident pour le projet qu’elles mènent à bout de bras.

Tout simplement bravo!

Sauce Brune
Du 7 au 23 août
Balustrade du Monument National | 1182, boulevard Saint-Laurent | saucebrune.com

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