Non. C'est pas vrai. Pauline Marois n'a pas vendu le fleuve St-Laurent aux Américains avant de céder sa place à Philippe Couillard, en avril dernier.
Peut-être que la vidéo qui prétend le contraire s'est rendue jusqu'à ton newsfeed cette semaine? Well, j'en suis l'auteur. Si vraiment elle a pu atteindre ton fil d'actualité, believe me, c'était pas censé se dérouler comme ça.
Jeudi dernier, très chillax sur un banc d'parc. Le fleuve St-Laurent devant moi. J'avais passé les 3 derniers jours à troller la page Facebook de TVA Nouvelles, – «pi pendant tant la guy turcott et en liberter…….» – à me régaler des indignations futiles de Nicole pis Claude qui trouveraient le moyen d'établir des liens entre la mort de Robin Williams pis l'Ebola.
Mais surtout, j'arrivais de découvrir une page Facebook qui demande à ce qu'on mette fin à l'Islam. Sur celle-ci, une publication prétendait, à grands coups de «J'AI ENTENDU DIRE QUE…», que des gardes musulmans empêchaient les citoyens de Brossard de circuler librement sur les trottoirs aux alentours de la mosquée. Personne n'a pu valider l'info. PERSONNE. Des résidents voisins ont même confirmé qu'ils n'avaient jamais eu vent d'une pareille chose et qu'il s'agissait probablement d'une belle grosse bullshit alarmiste.
Mais hey, ça n'est certainement pas une totale absence de preuves qui va empêcher #lesgens de s'adonner à une chasse aux sorcières, right? Chasse aux sorcières il y a donc eu. Propos islamophobes, haineux. «Qu'ils retournent donc dans leur pays s'ils veulent qu'on s'adapte à eux!», qu'ils ont rédigé. Appel au rassemblement devant la mosquée. Menaces de violenter les «gardes» qui oseraient leur bloquer le passage. Commentaires d'une rare violence et quelque 1100 partages tout aussi tristement intolérants.
J'me suis alors demandé si un désormais dangereux «J'AI ENTENDU DIRE QUE…» pouvait s'avérer suffisant pour crisser une province toute entière à feu et à sang. J'ose croire que non. Mais j'ai quand même tenu à mettre mon propre «J'AI ENTENDU DIRE QUE…» à l'épreuve. Une réplique satirique à cet épouvantable événement.
Donc, le fleuve St-Laurent. Moi, chillax sur un banc d'parc. Jeudi dernier. Je sors de ma poche un iPhone que je pointe en la direction de l'eau, brainstorm brièvement et filme. Et je narre. N'importe quoi. Du grand n'importe quoi. Tant que c'est peu crédible, que la vidéo comporte de grosses failles facilement invalidables et que le Québécois crédule sente qu'on lui enlève quelque chose.
Un «douanier» demandait donc à c'que je présente mon passeport afin qu'il puisse me donner accès au fleuve, la nouvelle acquisition des États-Unis. C'est Marois qui l'aurait vendu à Barack Obama, juste avant de quitter ses fonctions de Première Ministre. Durée: 46 secondes.
Idéalement, le manque de réactions m'aurait obligé à qualifier ma tentative de pétard mouillé. Je voyais mal comment la supercherie pouvait sortir de ma sphère perso. On n'aurait pas dû y croire, on se serait renseigné, on aurait sauté sur les journaux, attendu d'en entendre parler à LCN. Mais non. On a préféré boire les paroles d'un dude qui a ENTENDU DIRE QUE et traiter Pauline Marois de «crisse de grosse vache!!!».
Au total, quelque 3150 partages (et ça ne cesse d'augmenter) de gens qui n'en reviennent pas «qu'on en soit rendu là dans la corruption au Québec!!!». Pas loin de 800 commentaires sous la vidéo. Et tout plein de inbox de haine ou provenant de «sceptiques» qui cherchent à en savoir davantage «parce que en tk, si c vraie sa po d'allure la!!! faut partager!!!».
Parmi les moins naïfs, on pense toutefois que j'ai été victime d'un canular de la part d'un civil s'étant fait passer pour un douanier et d'autres imaginent un complot anti-péquiste qui servirait à nuire à la cause indépendantiste.
Tout ceci pour quelque 46 secondes de témoignage qui se basent sur un «ÇA AURAIT L'AIR QUE…».
Si l'année dernière on se facepalmait à observer autant de poissons mordre à l'hameçon des sites de nouvelles satiriques, on pouvait au moins se rassurer en se disant que le format amenait les gens à se méprendre, qu'il s'agissait bien souvent de paresse, qu'on lisait le texte en diago.
Mais là, ici, on vient d'atteindre un niveau un peu plus inquiétant. Bienvenue à l'ère du «J'AI ENTENDU DIRE QUE…».
Je vous déteste.